Christopher adorait son métier, et ce même s’il avait parfois une connotation plutôt négative pour certaines personnes. Mais dans une ville comme Savannah, être policier n’avait que des bons côtés. Du moins, c’était l’avis du britannique qui n’aurait échangé sa place pour rien au monde. Dès l’instant où il avait mis les pieds ici, il avait su qu’il y passerait le reste de sa vie. Ce qu’il n’avait pas prévu en revanche, c’était de devoir le faire seul. En effet, son tout premier projet en passant à Savannah  avait été d’acheter la maison de ses rêves avec Betty, dans l’unique but d’y fonder une famille et d’y couler des jours paisibles. Mais la vie en avait malheureusement décidé autrement en lui retirant sa femme et leur futur enfant au moment même où Chris pensait être l’homme le plus heureux au monde. A partir de ce moment-là, un long travail de deuil et de reconstruction avait débuté pour le britannique, travail largement appuyé par l’arrivée de Mickaëla et Lilly à ses côtés. En effet, en apprenant que les deux filles avaient elles aussi subit quelques coups durs, il avait pris la décision de leur proposer une colocation. Prenant cette proposition comme une opportunité pour changer de vie, Lena avait rapidement accepté et s’était donc elle aussi installée à Savannah. Sans qu’elle ne le sache vraiment, sa simple présence avait énormément aidé Chris à surmonter sa peine et la dépression qui le guettait. Mieux, il avait même reprit goût à la vie et pouvait aujourd’hui se targuer de mener une existence à peu près normale… même si les blessures du passé n’étaient jamais bien loin.

Bien loin de toutes ces considérations, Christopher consulta une dernière fois son ordinateur avant de l’éteindre,  et de ranger l’essentiel de ses affaires dans le sac à dos qu’il balança sur son épaule tout en saluant ses collègues. Toujours affublé de son uniforme et de son arme de service, il rallia la rue principale de la ville en descendant les quelques marches qui donnaient accès au commissariat. C’est alors qu’il remarqua une fille assise sur lesdites marches, sans pour autant y prêter beaucoup d’attention, trop occupé qu’il était à consulter ses SMS sur son téléphone portable. Ce ne fut finalement qu’en arrivant à hauteur de sa voiture et en ouvrant la portière côté chauffeur que son regard se posa de nouveau sur la jeune femme. Très vite, il remarqua son extrême pâleur et son air un peu hagard, mais aussi et surtout son ventre quelque peu rebondi de femme enceinte. Ni une ni deux, il referma la portière de la voiture pour se diriger d’un pas pressé vers les marches d’escalier en fronçant les sourcils. « Mademoiselle ? » l’interpella-t-il pour tenter d’attirer son attention avant de se poster juste devant elle, incapable de cacher son air inquiet. Depuis la tragique disparition de Betty, Chris portait en effet un tout autre regard sur les femmes, et encore plus si celles-ci étaient enceintes. « Est-ce que ça va ? Vous êtes toute pâle… vous vous sentez mal ? »

Depuis qu’il avait perdu Betty, Christopher portait un regard assez particulier sur les femmes enceintes. Sans vraiment pouvoir s’en empêcher, il avait à cœur de les protéger, de les aider… en somme, de faire ce qu’il avait fait avec sa propre femme avant que la tragédie ne se produise. Avec elle, il avait tout ce dont il avait toujours rêvé. Il l’aimait, ils partageaient à deux cette superbe villa qu’ils avaient achetée à Savannah et, cerise sur le gâteau, s’apprêtaient à être parents. Mais visiblement le tableau était trop parfait, et tout s’était brusquement arrêté à la mort de Betty et du bébé, au moment de l’accouchement. En voyant cette femme en mauvaise posture sur les marches d’escalier menant au commissariat, Chris n’avait donc pas pu faire autrement que de se diriger vers elle avec une certaine inquiétude. Elle était si pâle… peut-être était-elle malade ? Peut-être couvait-elle quelque chose qui ferait que son destin serait le même que Betty ? Et si elle aussi laissait un mari aimant derrière elle ? Dès que l’occasion se présentait, le jeune policier avait comme l’impression de revivre sa propre histoire, et de la projeter sur les autres. Alors même si cette propension à s’inquiéter pour les autres le faisait parfois agir bizarrement, Christopher n’essaya même pas de lutter et s’adressa à l’inconnue qui releva immédiatement la tête en s’essuyant les yeux. Ce ne fut qu’à cet instant que le jeune homme remarqua qu’elle pleurait, ce qui accentua encore un peu plus son inquiétude. Selon elle, elle n’allait pas bien mais Chris ne devait pas s’en faire… Evidemment, elle ne le connaissait pas et ne pouvait donc pas savoir qu’il n’abandonnerait pas aussi facilement.  Soudain, sans prévenir, la jeune femme se remit à pleurer mais avant que Christopher n’ait pu faire ou dire quoi que ce soit, elle s’excusa : « Pa…pardon. Vous n’avez pas l’air bien, vous non plus… »

Totalement interdit, Chris resta quelques instants bouche bée devant elle. Etait-il transparent à ce point ? Ou avait-elle une sorte de pouvoir magique ? Le don de lire dans les pensées des gens ? Le jeune homme ne voyait clairement pas d’autre solution tant le fait qu’elle puisse deviner son malaise lui paraissait incroyable. Pourtant, il répondit à son invitation en s’asseyant timidement près d’elle. S’il voulait parler ? Pas vraiment… Ce n’était pas franchement son truc, et encore moins avec une inconnue… Aussi, il secoua doucement la tête en lui adressant un petit sourire qui se voulait rassurant. « Non… non ça va, je vous assure. C’est juste que… j’ai été surpris ! Voir une femme enceinte seule ici… » Ne sachant pas trop comment s’en sortir, il se retourna vers elle pour continuer : « Vous êtes sûre que vous n’allez pas tomber dans les pommes ? Vous voulez un peu d’eau ? J’ai ce qu’il faut ici… » balbutia-t-il en ramenant son sac à dos devant lui pour en sortir une bouteille à peine entamée, qu’il ouvrit avant de la lui tendre. « Tenez, prenez-la… j’ai aussi de quoi manger si vous voulez… » Peut-être n’avait-elle pas besoin de tant d’agitation autour d’elle mais au moins, tant qu’il s’occupait d’elle de la sorte, Christopher n’avait pas à s’étaler sur son propre état d’esprit et sur tous les souvenirs que cette rencontre faisaient remonter à la surface bien malgré lui.