Arêtes Ana ! Tu sais que j'ai du boulot...je ne peux pas t'accompagner ! Comme toujours !...Aller, tu me saoul ! Et voilà, une énième dispute entre Julian et moi. On n'était pas vraiment le genre de couple à se prendre le chou pour des broutilles, mais depuis mon arrivée ici, les choses étaient un peu tendues entre nous. Jusqu'ici, on était toujours sur la même longueur d'onde, mais aujourd'hui, Julian passait le plus clair de son temps au boulot et il semblait clairement oublié qu'il avait une fiancée et un mariage à préparer. Je me retrouve seule dans une ville que je ne connais pas vraiment et qui ne me convient pas entièrement et mon fiancé semble s'en ficher totalement, ce qui me tape sérieusement sur les nerfs. J'avais mon petit caractère et je refusais de me laisser faire sans protester. Je n'avais pas l'intention d'être uniquement la parfaite petite femme d'intérieur qui attend sagement son homme à la maison. J'aspirais à plus, bien plus que ça. Folle de rage, j'attrape mon perfecto noir et quitte l'appartement en claquant la porte. Je déambule dans les rues en tentant de réfléchir à tout ça. Comment en était-on arrivé là ? Je l'aimais, là n'était pas la question. Mais je n'étais pas sûre de pouvoir tenir comme ça encore longtemps. Devrais-je retourner à NY pour que notre couple tienne la route ? Ce serait très certainement la meilleure solution mais... ce serait bien triste de devoir s'éloigner pour être ensemble.

Sans même m'en rendre compte, je suis déjà devant le Lucas Theater, le seul cinéma en ville diffusant ces vieux films en noir et blanc que j'affectionnais tant. Je paye ma place, prend un énorme pot de pop corn (il me fallait bien ça pour apaiser ma colère) et m'installe dans le coin droit de la salle. Il y avait uniquement un charmant petit couple installé un peu plus loin, m'envoyant brutalement à la figure que mon couple était tout sauf mignon en ce moment...l'amour, ça craint ! Je soupire d'agacement avant d'enfourner une grosse poignée de pop corn dans ma bouche et de ruminer ma colère et ma frustration. Les lumières s'éteignent et le générique commence. La musique romantique qui s'élève dans la salle, me ferait presque regretter d'être venue. Alors que j'envisage de partir et de me jeter d'un pont (oui bon, j'exagère peut-être un peu), une silhouette fait son apparition dans mon champ de vision et s'installe tout à côté de moi, sur ma gauche. Bonsoir

À ma grande surprise, je reconnais immédiatement cette voix et un sourire se dessine doucement sur mes lèvres nues pour une fois. Je n'avais pas vraiment eu le temps de refaire mon maquillage avant de partir et mes cheveux étaient relevés en une sorte de chignon négligé. Mes jambes découvertes par un petit short noir, sont agilement croisées sous mes fesses, tandis que mes ballerines gisent au sol. Je tourne la tête et découvre William, tranquillement installé à côté de moi. Il savait faire son entrée celui-là ! Je déglutis rapidement et m'adresse à lui, sans parvenir à me défaire de mon sourire Qu'est-ce que tu fais là toi ?
Pour la première fois depuis que je le connais, cette question est posée sans la moindre intention de l'agresser. Je souhaitais juste savoir ce qui l'amenait dans cette petite salle, au même instant que moi...une coïncidence ou le destin ?...Mystère et boule de gomme. Tout ce que je sais, c'est que là, à cet instant, je suis bien heureuse de le voir.

Un ami, vraiment ? Mon premier réflexe est de froncer légèrement les sourcils, peu convaincue par son explication. Allez savoir pourquoi, mais quand il s'agissait de William, j'avais tendance à m'attendre toujours au pire. Pourquoi mentirait-il ? Il ne m'avait tout de même pas traqué, espionné ou suivi ! Il n'aurait absolument aucune raison de le faire. Je devrais sans doute essayer d'arrêter de lui prêter les pires intentions, ce n'était pas un monstre après tout...malheureusement, les habitudes ont la dents dures !
Une fois la première réaction passée, j'attrape une seconde poignée de pop-corn, un peu plus petite (et raisonnable) cette fois-ci et place quelques grains dans ma bouche en hochant la tête, histoire de lui signifier que j'avais bien entendu sa réponse, avant qu'il ne me retourne la question. Qu'est-ce que je faisais ici ? Bonne question

Et bien hum...c'est, un de mes films préféré et hum... Et hum j'y viens toute seule parce que mon stupide fiancé est bien plus intéressé par son travail que par moi. Voilà ce que je brûle d'envie de rajouter, mais mon éternelle pudeur m'en empêche...ou plutôt, mon éternelle fierté. Admettre que j'étais délaissée de cette façon était tout simplement inenvisageable. Histoire de changer de sujet, je lui tends mon énorme pot de pop corn et lui demande

Pop-corn ? Aujourd'hui, je n'étais pas d'humeur à me chamailler ou à me disputer, j'avais eu ma dose pour la journée. Une fois William servi, je reporte mon attention sur l'écran, l'air de rien. La jeune Melanie, cadette de sa famille, est courtisée à la fois par un riche homme d'affaires, bien plus âgé qu'elle et par le jeune William, d'une condition inférieure à la sienne. Elle devra alors faire un choix entre l'amour et la sécurité...vraiment l'un de mes films préférés. À l'écran à lieu la toute première rencontre entre cette jeune fille et William, du romantisme à l'état pur. Sans que je m'en rende compte, mes yeux se mettent à briller, comme une enfant, alors que je plonge une fois de plus ma main dans le pop-corn.

Et ton mec il vient pas avec toi voir ce genre de chose ? Et voilà le sujet qui fâche. William avait aussi bien le don d'apparaître à des moments plus ou moins opportuns, que celui de mettre les pieds dans le plat. Je sers la mâchoire avant d'enfourner de nouveau du pop-corn dans ma bouche. Que répondre à cela ? Me fallait-il être honnête ou garder encore la face. La seconde option me semble être la plus appropriée. Je déglutis donc avec peine et lui répond, comme si tout allait bien, le regard rivé sur l'écran

Il avait du boulot...on y retournera une autre fois... Et voilà une bien jolie semi-vérité. Julian n'aurait très certainement pas le temps de revenir voir ce film avec moi, avant qu'il soit déprogrammé de cette salle. Bon je l'avais en DVD à la maison, mais ce n'était pas là même chose. Là, il s'agissait d'une sortie en amoureux, chose que nous n'avons pas faite depuis ce qui me semble être une éternité. Légèrement décontenancée, je préfère reporter mon attention sur le film. Après quelques instants, William s'approche de moi et me questionne Tu le connais pas coeur en fait ce film non ? Mon réflexe normal aurait été de me reculer un peu, mal à l'aise par cette soudaine proximité physique, mais là, dans l'atmosphère particulière de cette salle obscure, je n'en fais rien et me contente de poser mon regard sur lui avant de lui répondre, un sourire aux lèvres

C'est l'un de mes films préféré en fait... Je m'attarde quelques secondes de plus sur son visage, avant de me ressaisir et de regarder de nouveau l'écran. Je sens son coude qui effleure mon bras sur l'accoudoir et je n'ose pas bouger. Stressée, je dévore mon pop-corn en tâchant de ne pas penser à cette étrangement agréable sensation.

Quel idiot ! Moi j'aurai tout plaqué pour t'accompagner.. à sa place... Je me fige quelques secondes en entendant ces mots. Que voulait-il dire par là ? Et surtout, qu'est-ce que de telles paroles pouvaient bien impliquer ? Je n'en avais pas la moindre idée et je n'étais pas sûre de vouloir le découvrir. Souhaitait-il être à la place de Julian ? Cela me paraissait peu plausible. Et qu'est-ce qui l'aurait poussé à tout abandonner pour moi ? ...trop de questions avec des réponses bien trop grandes. Je me contente d'esquisser un sourire gêné en arrangeant la petite mèche qui se baladait devant mes yeux, avant de détourner le regard. J'essaie de suivre le film, mais mes pensées tournent à cent à l'heure, un peu contre ma volonté. Et puis son bras qui effleure sans cesse le mien, ne m'aide pas vraiment à me sentir mieux. Il est là, tout à côté de moi et je m'accommode presque à sa présence, ce qui m'est bien difficile à accepter. Le seul homme duquel j'acceptais d'être aussi proche, c'était Julian et ça devait n'être que Julian. Depuis ce dîner dans la maison familiale et ce petit baiser sur la joue "amical" donné par William, ma tolérance à sa présence était largement accrue. Dans cette configuration, je peux presque sentir son odeur qui m'est maintenant familière et agréable...pas bon tout ça !
Alors que mon regard est rivé sur l'écran, William me propose d'aller boire un verre à la fin du film. Vraiment ? Je me fige de nouveau, avant de tourner lentement la tête vers lui, afin de voir s'il était sérieux ou s'il se moquait encore de moi. Son regard est fixé sur moi et il semble plus que sérieux. Que devais-je répondre à ça ?

Je hum... Mais encore Ana ? Trouves mieux que ça s'il te plaît ! Aller boire un verre avec son demi-frère, il n'y avait pas de mal en soi mais en vue de tout ce qui se passait dans ma tête quand j'étais à ses côtés, ce n'était peut-être pas la meilleure des idées. On passait beaucoup trop de temps tous les deux en ce moment et c'était dangereux. Les joues rouges (merci pénombre du cinéma, il ne devrait pas le remarquer) je réponds dans un murmure
...je dois rentrer après...Julian m'attendra je penses... C'était loin d'être une certitude ça, mais au fond de moi, je l'espérais. S'il m'attendait, ça me prouverait que j'avais tort de penser que notre couple prenait l'eau. De plus en plus mal à l'aise, j'essaie une fois de plus de changer de sujet et lui tend de nouveau mon pot de pop-corn
Pop-corn ? Bon sang, changes de disque ma vielle !

Il marquait un point là. Julian n'allait certainement pas trouver le moyen de régler tout son boulot en 2h à peine, mais j'espérais secrètement qu'après une dispute comme celle-ci, il ferait l'effort de rentrer plus tôt et de m'accorder un peu de temps. Avant d'être mon fiancé, Julian était mon meilleur ami et j'espérais qu'il aurait suffisamment d'intérêt pour moi pour rentrer plus tôt. Ce n'était pas un monstre, bien au contraire, c'était un homme bien, sans doute le meilleur des hommes, mais prit dans la spirale du monde du travail. J'avais moi aussi un travail par lequel j'étais passionnée et je trouvais quand même le moyen d'aménager du temps pour nous, alors il avait intérêt à en faire de même. Je choisis d'ignorer ce qu'il venait de dire, pas par provocation, mais parce que j'estimais que William n'était pas forcément la personne la plus appropriée avec qui discuter de ça.C'est comme tu veux, tant pis... Mais si jamais tu changes d'avis, t'as mon numéro je crois. Je souris en hochant la tête, avant de le remercier et de rajouter Oui je l'ai... Malheureusement oui je l'avais. Je ne m'en étais encore jamais servit et j'avais bien l'intention de ne m'en servir qu'en cas d'extrême urgence (un de nos parents à l'hôpital par exemple)...et puis on passait déjà bien assez de temps en tête à tête à mon gout.

Je reporte mon attention sur le film, au moment de la grande déclaration d'amour de William a sa belle, sans doute la plus belle déclaration qui ait été dite à mes yeux. À la fin de la scène, mon William (enfin celui qui est à côté de moi...) me dit qu'il apprécie le film, ce qui me fait doucement sourire. Depuis qu'il est arrivé, il n'a pas dû en voir grand-chose à force de papoter. J'apprécie malgré tout l'intention. Pour une fois, il ne cherchait pas à se moquer de moi, c'était déjà ça. Cependant, je ne peux m'empêcher de le lui faire remarquer. Je me penche à mon tour vers lui et lui murmure, légèrement moqueuse

Je suis sûre que tu ne sais même pas qui sont les personnages principaux...mais c'est...mignon d'essayer ! Par réflexe, je pose ma main sur son avant-bras histoire d'appuyer ce que je venais de dire et la retire aussi vite que je l'y ai mise, une fois de plus mal à l'aise par ce que je venais de faire. Je me fixe de nouveau sur l'écran en prenant une énième petite poignée de pop-corn.

Tu me prends toujours pour un sombre crétin... tu sais que ça en devient barbant à la fin, Blondie ?Hein quoi ? Je me tourne vers lui avec hâte, surprise par ce qu'il venait de dire. Pour une fois que mon intention n'était pas de le piquer ou de le blesser, c'est là qu'il décide de le prendre mal. J'ignorais qu'il pouvait être soupe au lait à ce point et ça me fait discrètement sourire. Il jouait toujours la carte du gars désinvolte, un peu je-m’en-foutiste dès qu'il était à côté de moi et voilà que là, il s'emportait pour une petite remarque anodine. De bonne humeur (et surtout vraiment vulnérable à cause de la situation avec Julian - j'avais besoin d'attention et de réconfort, mais chuuut, je ne l'admettrais jamais), je tapote doucement son épaule du bout de mon index afin d'attirer son attention et je lui dis, sans parvenir à me défaire de mon sourire amusé Hey...j'ai pas dis ça pour te vexer ! Je ne remettais pas en cause ton intelligence, mais ta capacité à faire deux choses en même temps, comme la plupart des hommes n'y arrivent pas...si t'y arrives, c'est cool ! Je tente tant bien que mal de dissimuler mon hilarité, avant de me rapprocher un peu plus de lui et de lui murmurer à l'oreille
Et après, tu vas dire que c'est moi la boudeuse hein... Avant de lui donner un petit coup d'épaule histoire de tenter de le dérider (le voir bouder alors que ce n'était pour une fois pas mon intention était un peu frustrant...quand je le voulais vraiment y parvenir, je n'avais pas à un tel résultat, le comble!), puis de reporter mon attention sur l'écran, au moment exact où William et sa belle s'embrassent, rapidement suivis par le petit couple de devant. Non Ana, ce n'est pas du tout bizarre comme situation. Toi, au cinéma, avec ton demi-frère pour qui tu as de drôles de sentiments et de pensées qui te mettent mal à l'aise, en compagnie d'un de tes couples préférés du cinéma, qui se roulent un patin et d'un autre que tu ne connais pas qui en fait de même...tout va bien !