:.. Paul était absorbé par ses pensées, déjà au lendemain. Déjà au soir où il allait devoir travailler. Cela ne faisait qu’une semaine et le londonien était épuisé. Le changement de rythme, le changement d’heure, cette capacité insoluble qu’il avait à vouloir toujours donner le meilleur et en subir les conséquences après. Durant ces trois dernières années, il s’était consacré à 100% dans son travail. Au point de négliger sa santé, sa vie sociale, sa vie amoureuse, même si de ce ça il s’en fichait. Les femmes, il sortait avec elle un mois, deux mois puis il les rejetait. Elles n’étaient jamais assez bien et il finissait toujours à les comparer à « Elle »… Cela faisait deux ans et demi et même en repensant à Elle, il avait encore des frissons. Des envies d’assassinat. Mais il n’y avait plus d’Elle, il le savait. Il ne le savait même que trop… « Arrête de penser à ça », se gronda-t-il. Il n’avait même pas envie de se remémorer ça. Elle était la femme de sa vie et il n’avait même plus envie de penser à elle. Son propre comportement le dégoûtait parfois. « Je ne peux pas vivre dans ton souvenir Emy… », murmura-t-il tout bas.

:.. Il avait senti une présence s’installer derrière lui. Un homme, une femme ? Quelle importance cela faisait ? Paul était en colère contre lui-même. Mais il savait que c’était de la fatigue. Une fatigue physique et morale qu’il n’avait pas rencontrée depuis longtemps. Il posa sa tête en arrière et ferma les yeux. Il n’avait pas envie de bouger, pas envie de vivre cette journée qui pourtant s’annonçait douce. Il fronça les sourcils. Avait-il finalement le courage nécessaire à sa stupide entreprise ? Partir, tout laisser, vivre ailleurs… Il eut envie d’envoyer un texto à sa sœur ou à Hayden pour se plaindre. Mais il ne le fit pas. Paul avait cet orgueil de l’homme qui n’a jamais eu besoin de se reposer sur personne. Certains ont besoin de d’aide pour grandir, Paul ne voulait plus d’aide, il ne voulait plus s’attacher, ne plus dépendre de l’amour de quelqu’un…

:.. Et cette femme ? La belle jeune femme qui lui avait restitué son écharpe lui revint de nouveau en mémoire, pourquoi ? Il n’en savait rien. Il la chassa de nouveau de son esprit. Il ne la reverrait sans doute pas avant de longs mois alors pourquoi se préoccuper d’un songe ? La personne derrière lui se leva brutalement. D’un coup il regarda par la fenêtre et vit que le phare et donc son arrêt. Il se jeta sur le bouton tandis que sa main se referma sur celle de la personne derrière lui.

:.. Son souffle se stoppa net. Il retira tout doucement sa main et elle fit de même. Il la fixa du regard sans prendre le temps d’analyser la moindre de ses pensées. Elle ? Là ? Non pas la même, Elle… Il ne savait même pas son prénom ou son nom. Tout à coup, l’idée lui vint qu’elle ne se souvenait peut-être même pas de lui. Mais il voyait dans ses yeux que c’était faux. Lentement un grand sourire se dessina sur ses lèvres. Il s’apprêta à dire quelque chose quand le chauffeur du bus klaxonna.

- Vous descendez ??!!

- Oh oui ! Venez Mademoiselle !

:.. Sans penser à mal, dans un geste complètement naturel qui pourtant augmenta significativement son rythme cardiaque, Paul saisit agilement de sa main chaude de la jeune femme pour l’emmener dehors. A peine les pieds posés dehors le chauffeur redémarra. Paul resta là, sans oser bouger, considérant la petite main qu’il avait dans la sienne. Il s’empourpra et la retira. Son cœur battait sans qu’il ne puisse rien contrôler. Il était incapable de lâcher cette main qu’il avait prise. Il lui fallut quelques secondes encore pour retrouver la raison. Il la lâcha, un peu trop brutalement en bafouillant :

- Excusez-moi.

:.. Finalement, il secoue la tête, se trouvant bête, passe une main dans ses cheveux pour les ébouriffer. Il avait l’impression que le temps entre sa première rencontre et celle-ci n’avait jamais existé. Qu’il était encore dans ce rêve qu’il avait imaginé. Il la regarda dans les yeux, cherchant un indice sur ses pensées, sur son caractère, sur sa vie... Mais son regard ne disait rien à Paul. Il avait l’impression qu’il avait tout à découvrir d’elle et ce sentiment le rendait étrangement heureux. Ses yeux brillaient, son sourire s'étendait jusqu'à ses oreilles, mais aucun son n'arriva à sortir de sa gorge.

:.. Elle était en retard et elle l'aurait sûrement été encore plus si elle avait loupé son arrêt. Mais étrangement, en cet instant, plus rien de tout cela n'important. Elle avait son regard plongé dans le sien, celui de cet homme à l'écharpe à qui elle avait pensé quelques instants plus tôt. C'était à peine croyable... Il était là, devant elle, la main posée sur la sienne... Cette prise de conscience la fit d'ailleurs s'empourprer et elle retira sa main.

N'était-ce pas une étrange coïncidence ? Ne pensait-elle pas à lui quelques instants plus tôt ? Heather fut tirée de sa rêverie que par un violent coup de klaxon et la voix du chauffeur qui leur demandait s'ils allaient descendre. Visiblement, l'inconnu se souvenait d'elle à en juger son regard et son large sourire. Elle en était heureuse intérieurement et elle se sentit presque coupable de ressentir une telle joie pour ça.

- Oh oui ! Venez Mademoiselle ! avait-il lancé.

:.. Puis il lui avait pris la main. Pourquoi avait-il fait cela ? Le cœur de la jeune femme battait la chamade tandis qu'il l'entraînait dehors. Soudain elle eut peur. Non pas qu'il lui fasse du mal ou ne soit pas digne de confiance, non, seulement qu'elle aimait sans doute un peu trop ça justement. Il eut l'air de soudain se rendre compte qu'il tenait encore sa main alors que le bus était déjà parti et la relâcha soudain lorsqu'il sembla s'en rendre compte, visiblement gêné lui aussi.

- Excusez-moi, bredouilla-t-il en ébouriffant les cheveux d'une façon qu'elle trouva vraiment adorable, tellement qu'elle en eut un pincement au cœur.

- Ce... n'est pas grave. Je dois y aller, finit-elle par dire précipitamment après un moment de silence.

- Bonne journée, lança-t-elle avant de s'enfuir vers l'endroit de son rendez-vous.

:.. Son cœur battait violemment dans sa poitrine. Que lui arrivait-il ? Ou plutôt, pourquoi ? Comment pouvait-elle avoir ainsi un crush sur un parfait inconnu ? Un homme dont elle ne savait absolument rien à part qu'il était probablement britannique, était un peu maladroit et tête en l'air, aimait les bonbons à la menthe et ne devait pas être beaucoup plus âge qu'elle.

Mais que lui arrivait-il enfin ? Elle était mariée ! Enfin, de toute façon ils ne se reverraient probablement plus cette fois. C'était déjà une miracle qu'ils retombent l'un sur l'autre dans une ville aussi grande que Savannah. Sans compter que leur première rencontre datait d'il y a à peine quelques jours... Il lui semblait étrangement qu'il ne s'était passé guère de temps entre les deux face à face.

Tandis qu'elle marchait d'un pas vif, sa main crispée sur la lanière de son sac, ses yeux rivés sur le sol avec la forte probabilité de se retrouver dans la mauvaise direction, elle n'arrivait à voir que son sourire... Et quel sourire ! Tellement contagieux qu'elle ne pouvait s'empêcher de lui en envoyer un timide en retour. La vérité c'était qu'elle venait de fuir à cet instant et qu'une part d'elle le regrettait déjà...