Comme souvent lorsque venait le moment de la coucher, Lilly se montrait plutôt réticente, prétextant qu’elle n’avait pas sommeil simplement parce qu’elle préférait rester en compagnie des adultes. Christopher s’amusait d’ailleurs de la situation en voyant Micka batailler pour faire entendre raison à sa fille. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’était que la jeune femme le prenne à partie en promettant à Lilly qu’il lui lirait son histoire si elle acceptait d’aller dormir maintenant. Levant les yeux au ciel en esquissant une petite grimace, le policier fit mine d’être scandalisé par cette tactique, alors que l’optique de passer un peu de temps avec Lilly pour l’endormir le ravissait. « Mais qu'il est gentil ce Tonton Chris ! » lâcha Mickaëla d’un ton moqueur, alors que le principal intéressé se dirigeait vers la chambre de Lilly en secouant la tête. Décidément, la vie avec les deux filles n’avait absolument rien à voir avec celle qu’il avait vécue suite au décès de Betty. Et à aucun moment Chris n’avait regretté de leur avoir proposé d’emménager avec lui. Plus le temps passait, et plus il était persuadé qu’il ne le regretterait jamais.

S’installant sur le lit avec le livre que Lilly avait choisi, Chris attendit qu’elle vienne se blottir contre lui pour commencer son récit. Comme souvent, elle avait choisi l’histoire de la princesse Raiponce et à force de la lui lire, le jeune homme commençait à la connaître par cœur. Mais visiblement, la petite fille prenait toujours autant de plaisir à l’entendre. D’ailleurs, Chris ne tarda pas à sentir le poids de sa petite tête s’alourdir sur son bras et constata après quelques minutes à peine qu’elle avait sombré dans un profond sommeil. Attendri, il l’observa en silence pendant un moment, avant de l’installer plus confortablement dans son lit en prenant grand soin de ne pas la réveiller. Il posa le livre sur la table de nuit toute proche, et remonta le drap sur les frêles épaules de Lilly avant d’éteindre la lumière et de quitter la chambre le plus silencieusement possible. Il se dirigea ensuite vers sa chambre pour se déshabiller, et enfiler son bas de pyjama accompagné d’un simple débardeur blanc. Pour un peu, le jeune homme aurait presque pu aller se coucher maintenant. Mais il savait que Lena l’attendait encore au salon, probablement pour regarder un film à la télévision comme tous les soirs. Ce n’est qu’en apercevant les deux bouteilles de bière qui trônaient devant elle sur la table basse que Christopher fut surpris. Avait-elle prévu un autre programme ? Avaient-ils quelque chose à fêter ? « Joyeuse Saint-Valentin mon lapin ! » s’exclama-t-elle alors en lui tendant une des bouteilles, dont il se saisit en affichant un petit sourire. C’était donc ça ! Depuis que Betty n’était plus auprès de lui, le jeune homme ne prêtait plus aucune espèce d’importance à cette fête, qu’il avait de toute façon toujours considérée comme commerciale. Un peu décontenancé, Chris s’installa sur le canapé en répondant : « Merci… Bonne Saint-Valentin à toi aussi… » avant de trinquer avec Lena en faisant tinter leurs deux bouteilles. Un long soupir s’échappa ensuite d’entre ses lèvres, avant qu’il n’ingurgite une première gorgée de bière. « Je n’ai pas eu l’occasion de fêter la Saint-Valentin depuis Betty… je crois que j’en avais même oublié que cette fête existait… » déclara-t-il, un peu comme s’il disait à voix haute tout ce qu’il pensait tout bas. Mais bien vite, Christopher reporta sa bouteille jusqu’à ses lèvres pour boire de nouvelles gorgées de bière et ainsi oublier les circonstances et les souvenirs douloureux que l’évocation de sa femme faisait toujours remonter.

A vrai dire, Christopher aurait préféré oublier l’existence de cette stupide fête de la Saint-Valentin. Il n’avait jamais été très porté sur la question mais depuis le décès de Betty, cette période de l’année était devenue encore plus spéciale. A longueur de journée, on pouvait croiser des petits couples qui balançaient leur bonheur à la face du monde, sans se soucier des gens comme Christopher qui pensaient ne plus jamais y avoir droit. Tout cela rendait le jeune policier encore plus morose mais comme à son habitude, il préférait ne rien montrer, prétexter que tout allait bien alors que ce n’était clairement pas le cas. Néanmoins, l’initiative qu’avait visiblement prise Mickaëla pour occuper leur soirée toucha Chris, qui accepta la bière qu’elle lui tendait sans rechigner. Après avoir trinqué, il s’installa plus confortablement dans le canapé et laissa son esprit divaguer en évoquant sa tristesse de ne plus pouvoir partager ses soirées de Saint-Valentin avec Betty. Pour une fois, il se laissait aller et parlait sans détour de la détresse qui le tiraillait, certainement aidé par l’ambiance rassurante et chaleureuse que Lena avait instaurée.

Une nouvelle fois, Christopher porta sa bouteille de bière jusqu’à ses lèvres pour en engloutir de longues gorgées. En buvant, il avait l’impression de se donner une contenance et surtout, de ne pas avoir à s’étaler davantage sur les sentiments qu’il venait d’exprimer devant sa colocataire. Car même s’il avait réussi à en parler sans trop de difficultés, le jeune homme était loin d’être à l’aise sur ce sujet. Mais comme il aurait pu le prévoir, Mickaëla ne tarda pas à poser sa bouteille pour s’installer face à lui, et lui demander d’une voix la plus douce possible : « On n'en a jamais vraiment parlé mais...je ne t'ai jamais demandé si ça allait...pour toi... » Effectivement, ils n’avaient jamais eu l’occasion d’en parler, et pour cause. Christopher avait toujours évité le sujet, préférant se concentrer sur le bien-être de Micka et Lilly, comme s’il trouvait en ce geste une certaine forme de thérapie qui l’aider à oublier son propre malheur. Un mince sourire des plus amers se dessina sur son visage, alors qu’il n’osa même pas croiser le regard de la jeune femme tant le moment était délicat. Mais après quelques secondes de silence, Chris haussa doucement les épaules et reprit : « Je ne peux pas te dire que ça va… je te mentirai si je le faisais, mais…le fait que tu sois là, avec Lilly, ça compte beaucoup pour moi. Vous m’aidez à aller mieux, sans le savoir… je sais pas ce que j’aurai fait sans vous d’ailleurs… » avoua-t-il en daignant enfin croiser le regard de Lena. « Je ne te remercierai jamais assez d’avoir accepté de venir… » A la base, il l’avait fait pour elle et pour Lilly mais avec le temps, Christopher avait rapidement réalisé que son propre salut dépendait entièrement des deux filles.

Même si ce n’était pas une chose facile pour lui, Christopher semblait enfin vouloir se livrer un peu à Mickaëla. Après tout, il lui devait bien ça ! Ils cohabitaient maintenant depuis plusieurs mois, elle avait partagé avec lui ses douleurs les plus profondes, comme tous ces moments de joie que leur procurait la petite Lilly… Alors ce soir, Chris estimait que c’était à son tour de se dévoiler un peu. En temps normal, il préférait cultiver un certain mystère autour de sa personne, même s’il ne le faisait pas consciemment. Mais sa complicité avec la jeune femme était telle qu’il n’avait plus peur de lui montrer ses faiblesses. Elle l’avait souvent trouvé avachi sur le canapé du salon après ses innombrables nuits blanches, et pire : elle avait même retrouvé la photo de Betty près de lui il y a quelques semaines. Autant dire qu’elle savait précisément ce qu’elle traversait et que même s’il n’en parlait jamais, elle était en mesure de comprendre sa douleur. D’ailleurs, elle fut la première à mettre le sujet sur la table, et à inciter le policier à se livrer sans tabous. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’exécuta sans rechigner, en profitant par la même occasion pour remercier Micka. Un large sourire s’afficha alors sur le visage de la jeune femme, qui s’approcha pour venir embrasser la joue de son amie avant de reprendre : « Ce serait plutôt à moi de te remercier, non ? Je veux dire tu...tu n'étais pas du tout obligé de nous accepter ici. Je crois que la dernière personne à s'être autant soucié de moi c'était...mon père. Du moins quand il le pouvait. » Accueillant sa réaction avec un mince sourire, Chris regarda la main de Lena se poser sur son épaule et se sentit bizarrement un peu plus serein. Encore une sorte de pouvoir que la jeune femme exerçait sur lui, et qu’il refusa de chercher à s’expliquer.

Sans prévenir, Christopher se redressa pour se diriger vers la cuisine, et revenir avec le pack complet de bières que Mickaëla avait entamé un peu plus tôt. S’installant de nouveau dans le canapé, il entama sa seconde bouteille en lançant un petit regard rassurant en direction de Micka, pour l’inciter à récupérer la bière qu’elle avait laissé sur la table basse. D’un air songeur, le jeune homme avala quelques gorgées d’alcool supplémentaire avant de laisser sa tête tomber à la renverse pour se poser sur le dossier du canapé. « Vous faisiez quoi pour la Saint-Valentin d’habitude ? » demanda Chris  sans vraiment s’en rendre compte, trop occupé à se perdre dans ses propres souvenirs, qui lui arrachèrent d’ailleurs un petit sourire. « Moi j’emmenai Betty dans son resto préféré… Enfin, il y a une fois où j’ai voulu cuisiné moi-même mais… on a mangé des pâtes finalement ! » raconta-t-il en esquissant une petite grimace, faisant référence à la catastrophe culinaire qu’il avait été ce soir là alors que son seul but avait été de faire plaisir à sa femme.

Pour la première fois depuis des lustres, Christopher se surprenait à parler de sa relation avec Betty sans trop de difficultés. Il fallait dire que la présence de Micka l’aidait beaucoup, et que s’il y en avait une qui pouvait l’écouter, c’était bien elle ! En effet, il se sentait totalement en confiance avec la jeune femme et la douce ambiance qu’elle avait instaurée pour cette soirée un peu particulière jouait beaucoup dans le fait qu’il se livre de la sorte. D’habitude, le jeune homme ne laissait rien paraître, préférant cacher tous ses tracas derrière un beau sourire de peur de craquer en en parlant trop librement. Mais ce soir, il ne craignait plus rien. Mieux, il avait l’impression que le fait d’évoquer ces souvenirs lui faisait du bien, en quelque sorte… Car cela restait tout de même relativement douloureux, et le britannique ingurgitait d’ailleurs bien volontiers sa bière pour rendre l’épreuve un peu plus simple. Mickaëla paraissait un peu perturbée par ce retournement de situation et c’était bien compréhensible. Elle qui le connaissait si mystérieux et silencieux en toutes circonstances découvrait un peu un autre Chris. Elle manqua de s’étouffer en terminant sa toute première bouteille de bière, mais ne lâcha pas le moindre mot, laissant le soin au policier de terminer son récit comme il le souhaitait. Il parlait un peu sans réfléchir, le regard dans le vague et un petit sourire aux lèvres, avec cette étrange impression de revivre les bons moments qu’il avait passés avec Betty rien qu’en les racontant à Lena. La seule chose qui vint l’extirper de cette espèce de torpeur fut le petit ricanement de la jeune femme qui plaisanta : « Et tu veux que je te laisse entrer dans ma cuisine ?! Tu peux toujours courir mon lapin ! »

Aussitôt, un des sourcils de Chris s’arqua en constatant qu’elle s’appropriait sa cuisine. Mais bien vite, sa mine surprise se transforma en un nouveau sourire entendu. Le fait qu’elle agisse ainsi était bel et bien une preuve qu’elle se sentait bien chez lui, et qu’elle avait trouvé ses marques malgré le caractère étrange de cette colocation improvisée. Attendri, Chris reporta son regard sur Lena en la voyant terminer sa première bière. Et là, il la vit décapsuler la prochaine à mains nues avec autant de facilité que si elle avait fait ça toute sa vie. « Eh ouai ! Je sais décapsuler une bouteille de bière à mains nues, classe hein ! » s’exclama-t-elle devant le regard médusé de son ami qui secoua la tête en riant. Alors que Chris lui tendait une nouvelle bière pour qu’elle lui fasse une nouvelle démonstration de ses talents, Micka expliqua que cette habitude lui venait des soirées passées avec les amis d’Owen. « Impressionnant ! » observa le policier, toujours aussi surpris et amusé par son geste. Mais bien vite, il retrouva sa place sur le canapé et reprit : « Il faisait souvent des soirées comme ça, avec ses amis ? » demanda-t-il, en s’imaginant très bien la position un peu à part que devait avoir Micka dans ce genre de soirées. Clairement, il l’imaginait un peu en marge, comme si Owen l’utilisait plus en tant que serveuse qu’en tant que petite amie et cette vision le tracassait tellement qu’il espérait intérieurement se tromper sur toute la ligne.

Plus Christopher en apprenait sur la relation qui avait lié Lena à son ami Owen, plus il avait l’impression que celle-ci avait été malsaine. En un sens, il en venait à penser que l’amour que la jeune femme avait porté à son ami d’enfance n’avait rien de réciproque, et pire : que ce dernier se servait d’elle plus qu’autre chose. Il connaissait Owen comme s’il avait été son frère, et savait à quel point il pouvait être odieux avec la gent féminine. Mais avec Mickaëla, il l’avait toujours trouvé différent. Peut-être aveuglé par sa propre histoire avec Betty, il avait toujours pensé qu’Owen et Micka étaient faits pour être ensemble. Mais plus le temps passait, plus il réalisait qu’il s‘était trompé sur toute la ligne. D’ailleurs, le récit que venait de lui faire la jeune femme le poussait une fois de plus à croire que sa relation avec Owen n’avait pas été aussi idyllique qu’ils le laissaient paraître. « Hum...environ toutes les semaines...du moins quand on était à la maison !  » En s’imaginant la vie qu’ils avaient du mener tous les deux, Chris esquissa une grimace à peine perceptible. Quelque part, il avait de la peine pour Mickaëla. Il était triste de savoir qu’elle avait pu autant s’attacher un homme qui n’avait en vérité rien à faire d’elle.

Sans en dire plus, la jeune femme termina sa bière avant de se pencher pour en saisir une autre. Les bouteilles défilaient entre leurs mains, et les cadavres commençaient à s’empiler sur la petite table basse qui n’avait décidément jamais vu autant de bouteilles de sa vie. Chris n’avait pas spécialement l’habitude de boire mais ce soir, il se surprenait à enchainer lui aussi les bières les unes après les autres. L’effet de l’alcool commençait d’ailleurs à se faire sentir mais curieusement, cela lui était plutôt agréable. Il ne se priva donc pas d’attraper une nouvelle bouteille, alors que Mickaëla avait les yeux rivés sur lui et semblait l’observer pour le moins assidument, ce qui le rendait un peu mal à l’aise d’ailleurs. Et alors qu’il s’installait de nouveau dans le canapé, la jeune femme reprit la parole d’un air absent : « Betty était chanceuse de t'avoir tu sais ?...Tu as tout de l'homme parfait... » Immédiatement, un petit sourire se dessina sur les lèvres du policier qui secoua la tête avant de répondre : « Je ne crois pas non… Je dirai même que je suis plutôt loin du compte ! » Chris pouvait voir dans le regard de Lena que l’alcool commençait sérieusement à lui monter à la tête et puisqu’il en était de même pour lui, il s’autorisa à saisir la bouteille de la jeune femme. Un peu maladroit, il attrapa plus sa main que la bouteille à proprement parler mais ne recula pas pour autant, préférant planter son regard dans celui de Lena en proposant : « On… on devrait peut-être se calmer sur… ça. » lâcha-t-il en retirant finalement la bouteille de la main de son amie sans pour autant la quitter des yeux.

En règle générale, Christopher était plutôt quelqu’un de raisonnable. D’ailleurs, c’était une condition presque indispensable pour exercer son métier. Il n’avait pas pour habitude de faire la fête, et encore moins de boire jusqu’à plus soif, ce qui expliquait en grande partie de le fait que les quelques bières qu’il avait ingurgitées ne tardent pas à lui monter à la tête. Il était costaud, mais la fatigue aidant, le jeune homme sentait bien qu’une seule bouteille de plus suffirait à le rendre complètement saoul. En observant l’attitude de Lena, il réalisa bien vite qu’il en était de même pour elle et qu’il était grand temps d’arrêter là leur petit apéritif improvisé… s’il était encore temps. Ce fut donc d’un geste extrêmement maladroit qu’il se saisit de la bouteille de sa voisine pour la lui retirer tant bien que mal, alors qu’il tentait en vain de se détacher de ce regard qu’elle lui lançait. Chris voyait les yeux de Lena parcourir son propre visage et il se retrouva comme hypnotisé, incapable de mettre un terme à cet échange silencieux et tellement intense à la fois.  Sans la lâcher du regard, il posa leurs deux bouteilles sur la table basse du salon, avant de se figer une nouvelle fois lorsque les doigts de Mickaëla trouvèrent le chemin de sa joue. « Vraiment parfait...  » murmura-t-elle alors que le jeune homme s’approchait de plus en plus d’elle sans même s’en rendre compte.

Totalement perdu et absorbé par les grands yeux de Mickaëla, Chris trouva néanmoins la force d’attraper la main qu’elle avait porté jusqu’à son visage pour l’en retirer délicatement en murmurant du bout des lèvres : « Lena… non… » Mais son cœur semblait lui crier le contraire de ce que lui dictait son esprit, et alors qu’il lâchait la main de la jeune femme, le policier craqua. Timidement, presque comme s’il avait peur d’être rejeté ou de commettre une énorme bêtise (ce qu’il était probablement en train de faire d’ailleurs), Christopher posa ses lèvres sur celles de Lena. Il lui offrit alors un baiser des plus tendres, qui ne tarda pas à s’intensifier à mesure que leurs deux corps se rapprochaient. Le britannique semblait désormais incapable de s’arrêter ou de faire volte-face, un peu comme si la jeune femme l’avait envoûté ou avait jeté un sort quelconque sur lui. A son tour, il porta sa main jusqu’au visage de Lena pour le caresser, avant de l’enfouir dans ses cheveux et ainsi la ramener un peu plus vers lui. Ce ne fut qu’après quelques dizaines de secondes qui lui parurent bien trop courtes que Christopher osa se détacher d’elle. En reprenant son souffle, il releva les yeux vers ceux de Lena pour tenter d’y sonder ne serait-ce qu’une bribe de réponse à la multitude de questions qui envahissaient son esprit, même si sa seule envie était de réitérer l’expérience au plus vite.

Se rapprocher ainsi de Mickaëla était tout bonnement impensable, inimaginable pour le jeune policier. Tout d’abord parce qu’elle était tout de même l’ex-femme de son meilleur ami, et que même s’il ne le comprenait absolument plus, il lui devait encore un certain respect. Mais aussi et surtout parce que le fait d’avoir des vues sur une autre femme revenait un peu à trahir Betty… du moins, c’était ce dont Chris s’était persuadé depuis la disparition de sa femme. Pourtant, ce soir, l’esprit embué par les quelques bières qu’il avait englouties, les principes du jeune homme semblaient voler en éclats. Face aux grands yeux de Lena braqués sur lui, Christopher fut incapable de résister bien longtemps et s’autorisa enfin à lier leurs lèvres dans un tendre baiser. Et au moment même où leurs peaux entrèrent en contact, il sut qu’il avait prit la bonne décision. Le jeune homme vivait cet instant comme un réel soulagement, après les nombreux moments de tension qui s’étaient manifesté depuis quelques semaines. Comme pour le rassurer, Mickaëla passa ses bras autour de son cou et répondit à ce baiser timide. A ce moment-là, le britannique eut la certitude qu’il ne s’était fait aucun film, et que cette sorte d’attirance qu’il ressentait pour la jeune femme depuis quelques temps semblait être réciproque. Jusqu’ici, il s’était interdit d’y penser et avait refoulé en bloc les moindres questions qui lui étaient venues à l’esprit. Mais ce léger dérapage lui avait au moins permis de comprendre qu’il n’était pas seul à douter.

« Alors ça...  » murmura Mickaëla dans un petit éclat de rire, alors que leurs lèvres venaient de se séparer. Déjà, ce contact semblait manquer au jeune homme qui s’efforça cependant de se contenir, et de rester immobile à quelques centimètres seulement du visage de sa colocataire. Ses caresses, qu’il sentait tout contre sa nuque, le firent frissonner et ce fut avec une certaine satisfaction qu’il vit Lena se rapprocher de lui pour lui offrir un nouveau baiser. Bien évidemment, il n’eut aucun mouvement de recul et s’empressa même de prolonger ce moment hors du temps. De plus en plus à l’aise, certainement grâce aux vapeurs de bière encore bien présentes dans son esprit, Christopher enlaça Lena pour la ramener contre lui. Il bascula ensuite vers l’arrière en l’entrainant, ne lui laissant d’autre choix que de s’allonger sur lui pour prolonger leur baiser toujours plus tendrement. Peut-être allait-il le regretter très vite ? Peut-être était-il en train de signer la fin d’une si belle histoire d’amitié avec Lena ? Quoi qu’il en soit, Christopher n’avait absolument aucune envie de se poser ces questions, et préférait de loin profiter de cet instant qu’il savait éphémère.

Braver les interdits n’était absolument pas dans les habitudes de Christopher, et pourtant. Il savait bien qu’il n‘avait pas le droit de se rapprocher ainsi de Mickaëla, ni même de l’embrasser ou de s’attacher à elle d’une quelconque manière que ce soit, hormis de façon amicale. Il savait qu’en faisant ce qu’il était en train de faire, il ne s’attirerait que des ennuis. Mais même en sachant tout cela, Chris n’avait aucune envie de mettre fin à cet instant. Il se trouvait si bien, tellement à l’aise entre les bras de la jeune femme qu’il aurait voulu que ce moment dure toujours. Que rien ni personne ne vienne jamais les rappeler à la réalité. Cet état d’esprit lui était certainement soufflé par l’alcool qui coulait dans ses veines, et il n’en penserait peut-être plus rien dans quelques heures, mais qu’importe. Pour le moment, Lena était allongée contre lui et seuls leurs baisers occupaient l’esprit du jeune policier. Ils étaient à la fois timides et teintés de toute cette impatience qui les avait animés. Depuis des semaines entières, une sorte de tension s’était immiscée entre les deux colocataires, et ce dérapage sonnait comme la fin d’une attente interminable et à peine supportable. D’ailleurs, alcool ou pas, Chris ne pouvait s’empêcher de songer que cet instant aurait bien fini par arriver tôt ou tard. A ce détail près qu’il avait une signification particulière puisque ce soir, tous les autres couples de la ville fêtaient la Saint Valentin.

Sans cesser de lui prodiguer de tendres caresses, le jeune homme détacha ses lèvres de celles de Lena et la laissa s’installer tout contre lui, la tête posée sur son épaule. Chris avait encore le souffle court, mais un léger sourire avait prit place sur ses lèvres. Un sourire qu’il n’avait pas eu l’occasion d’afficher depuis bien longtemps. Sans pouvoir s’en empêcher, il déposa un dernier baiser sur le front de Mickaëla avant de laisser la fatigue de sa journée de travail s’emparer de lui, et le tirer dans un profond sommeil, apaisé par le fait de sentir la présence de la jeune femme dans ses bras. Pour une fois, aucun cauchemar ni aucun souvenir ne vint troubler la nuit du policier qui ne se réveilla pas une seule fois. Il n’avait d’ailleurs pas dormi ainsi depuis des lustres, et il lui fallut plusieurs minutes pour daigner émerger lorsque la lumière du petit matin perça par l’ouverture d’un volet. Ce ne fut qu’au moment où il commença à bouger que Chris sentit un poids sur lui, quelque chose qui l’empêcher de se mouvoir comme il le souhaitait et qu’il identifia comme… une femme. Il sentait ses cheveux contre son visage, sa respiration calme et régulière contre son torse… ça ne faisait aucun doute. Précipitamment, il ouvrit alors les yeux et eut la surprise de tomber sur Lena, assoupie tout contre lui. Aussitôt, ses sourcils se froncèrent et son cœur s’emballa. Que c’était-il passé ? Est-ce qu’il c’était passé quelque chose d’ailleurs ? Visiblement, tous leurs vêtements étaient en place, ce qui rassura un peu le jeune homme qui tenta de se redresser ans éveiller sa colocataire. Mais c’était peine perdue, il ne pouvait absolument rien faire tant qu’elle ne le libèrerait pas de son étreinte. De plus en plus paniqué, Christopher déglutit en fermant les yeux quelques instants. Cette fois, il avait vraiment dépassé les bornes. Sans qu’il ne se souvienne comment cela était arrivé, il était désormais conscient de s’être fourré dans une situation absolument impossible à gérer. Il avait peur de la voir s’éveiller et pourtant, il fallait que Lena émerge à son tour. Si jamais Lilly débarquait dans le salon et les voyait comme ça, la situation ne ferait qu’empirer. Ce fut donc timidement que le policier commença à remuer un peu, et retira le bras que la jeune femme avait posé sur lui pour pouvoir se décaler en chuchotant : « Lena ! Lena, réveille-toi… »