Cela faisait désormais plusieurs dizaines de minutes que Christopher se tournait et se retournait dans son lit. Tout était calme dans la maison, et Lilly et Mickaëla dormaient déjà depuis longtemps. Mais pour Chris, impossible de trouver le sommeil. Il avait fixé le plafond, fermé les yeux en espérant sombrer plus vite, mais rien n’y faisait. L’image de Betty était toujours là, en train de le hanter et de le remplir de remords. Pourtant, il n’avait absolument rien à se reprocher dans cette histoire. Il n’avait rien à reprocher à personne d’ailleurs, à part peut-être au destin qui lui avait enlevé les deux femmes de sa vie beaucoup trop tôt. Et on avait eu beau lui dire que le temps l’aiderait à surmonter cette épreuve, les faits étaient là : la douleur était toujours aussi présente, et le souvenir de Betty ne semblait plus vouloir quitter son esprit. En règle générale, lorsque Chris était mélancolique ou triste, il attrapait sa guitare et s’enfermait dans sa chambre pour jouer pendant des heures et tenter de se vider la tête, de ne penser à rien d’autre qu’aux mélodies qui s’échappaient de son instrument. Mais à présent il ne vivait plus seul, et même si la villa était grande il ne pouvait pas se permettre de risquer de réveiller les filles. Alors le jeune homme se contentait d’attendre. Attendre que le sommeil le gagne enfin, et vienne lui faire oublier ses blessures au moins pour quelques heures.

Malheureusement pour lui, et même si la fatigue accumulé au cours de sa journée de boulot se faisait clairement sentir, Christopher ne parvenait pas à se détacher de ses souvenirs douloureux. En cette fin d’année, il n’avait de cesse de croiser des petites familles modèles qui faisaient leurs courses, des enfants qui s’émerveillaient devant les vitrines des magasins décorées pour Noël, et l’absence de Betty et de leur bébé se faisait encore plus pénible dans ces moments-là. Excédé de se voir tourner en rond dans son lit depuis des heures, Christopher décida de se lever et rallia le salon pour y faire les cent pas. Il ingurgita un verre d’eau, fit un tour sur la terrasse pour y admirer le clair de lune mais fut rapidement contraint de regagner le salon par le froid ambiant de cette fin novembre. Chris s’étala alors sur le canapé et cogita encore quelques heures en caressant du bout des doigts un portrait de Betty qui n’avait pas quitté le meuble du salon depuis sa disparition. Mais finalement, et sans qu’il ne s’en rende vraiment compte, le jeune homme sombra dans un sommeil agité.

Au petit matin, Christopher était toujours allongé dans le canapé, la photo de Betty posée au sol à ses côtés. La nuit blanche qu’il venait de passer l’avait totalement anéanti, et même les premiers rayons du soleil qui perçaient par la fenêtre ne suffirent pas à le réveiller…  

Le bref sommeil de Christopher n’avait pas été des plus reposant, et les songes qui l’avaient empêché de s’endormir l’avaient poursuivi jusqu’au petit matin. Si bien que même lorsque Micka se leva, le jeune homme n’entendit absolument rien et continua sa nuit sans broncher. Il eut bien l’impression de sentir un contact dans ses cheveux au bout d’un moment, mais il se trouvait encore dans un état second et ne parvint pas à faire la différence entre ses rêves (ou plutôt ses cauchemars) et la réalité. Ce ne fut finalement qu’en entendant la voix de Mickaëla que le britannique s’extirpa de son sommeil en grognant. Pas encore tout à fait conscient de ce qu’il lui arrivait, il commença par grimacer puis ouvrit un œil… pour se retrouver nez-à-nez avec la jeune femme. Immédiatement, Chris fronça les sourcils en tentant de se remémorer ce qu’il pouvait bien faire sur ce canapé. Un peu comme à la suite d’une bonne cuite, il lui fallut quelques instants pour se remettre les idées en place. Mais dès que ce fut chose faite, Christopher se redressa péniblement jusqu’à s’asseoir sur le canapé. Et à ce moment-là, son regard se posa sur le portrait de Betty posé sur la table basse derrière Mickaëla. Soudain, tout s’éclaira et il se revit même faire les cent pas à travers le salon. Une sale nuit. Il venait vraiment de passer une sale nuit durant laquelle l’absence de sa femme et de sa fille avait été particulièrement douloureuse.

« Hey… » murmura-t-il finalement à l’attention de Micka en lui adressant un maigre sourire sans âme. Chris passa une de ses mains dans ses cheveux en bataille puis se frotta les yeux en soupirant. « Je… je me suis endormi là hier soir… » fit-il d’une voix rauque qui trahissait son extrême fatigue. Le jeune homme aurait voulu prétendre que tout allait bien, et que le fait d’avoir fini dans le canapé relevait plus de l’étourderie qu’autre chose. Mais le cadre posé sur la table était là pour témoigner du fait que Mickaëla l’ait d’ores et déjà démasqué. Quoi qu’il dise, la jeune femme savait que sa présence ici avait quelque chose à voir avec le souvenir de Betty. Presque honteux de se montrer aussi faible devant elle, Christopher baissa les yeux en déglutissant, laissant passer un long moment de silence pour le moins pesant. Rien ne servait de faire semblant devant Micka, alors Chris finit par se lancer : « En fait, j’ai pas passé une très bonne nuit… J’arrivai pas à dormir, alors je suis venu ici et… » Son regard s’arrêta une fois de plus sur le visage de Betty et, sans avoir besoin d‘ajouter quoi que ce soit tant la suite était logique, Chris se contenta de hausser les épaules en affichant une petite grimace triste. Puis, en guise de vaine tentative pour passer à autre chose alors qu’il savait que Micka ne s’arrêterait de toute façon pas  là, il fit mine de reprendre du poil de la bête en relevant ses yeux vers elle : « Ca va toi ? Bien dormi ? »

Ils ne se côtoyaient pas depuis une éternité et pourtant, Christopher avait parfois l’impression que Micka le connaissait par cœur. Elle pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert et avec le temps, il avait apprit que rien ne servait de lui cacher quoi que ce soit. Surtout lorsque cela concernait Betty et la douleur que son absence semblait avoir laissé en lui pour l’éternité. Mickaëla avait également du traverser des périodes extrêmement difficiles, et c’était probablement ce qui la rapprochait du jeune policier aujourd’hui. A deux, ils tentaient de se reconstruire et de croire à nouveau à cette vie dont ils avaient toujours rêvé, chacun à leur manière. Mais le chemin était bel et bien semé d’embûches et Christopher en avait fait l’amère expérience durant cette nuit blanche qu’il venait de passer. Dans un premier temps, il tenta tout de même de ne pas s’expliquer quant à sa présence au beau milieu du salon et à la sale tête qu’il devait probablement avoir. Mais un regard de Micka suffit à le dissuader, et à le convaincre de lui dire la vérité. Après tout, ce n’était pas la première fois que cela arrivait, et il avait assez confiance en elle pour savoir qu’elle ne le jugerait pas. Mieux, elle lui évita même de plus amples explications qui auraient été des plus douloureuses, et lui signala d’un signe de tête qu’elle avait compris. Elle parvint même miraculeusement à lui faire esquisser un sourire en évoquant les ronflements de la petite Lilly qui avait passé la nuit avec elle. Décidément, cette fille était géniale et plus le temps passait, plus Christopher se élicitait de lui avoir un jour proposé cette colocation.

« Allez viens…je vais te préparer un bon petit dej, ça va te faire du bien… » déclara finalement Mickaëla en se redressant et en incitant Chris à en faire de même. Puis elle le poussa littéralement vers la cuisine et l’aida à s’y installer, devant le regard quelque peu perdu et médusé du jeune homme. De son côté, Micka se montrait plus enjouée que jamais et telle une véritable mère, tâcha de s’occuper de tout ce qui pourrait faire plaisir à Chris. « Hum….Bacon grillé, pancakes et gelée de groseilles, ça te va ? Ou tu préfères des céréales ? Ou des toasts ? Ou du pain perdu ? … Tu préfères quoi ? » lança la jeune femme alors que seule sa tête dépassait du frigo ouvert. A la fois attendri et extrêmement reconnaissant, Chris afficha un léger sourire. N’ayant pas vraiment pu s’exprimer jusqu’ici, il se racla la gorge et répondit : « C’est vraiment gentil Micka mais… enfin, t’es pas obligée de faire tout ça tu sais… » Chris appréciait qu’elle se mette en quatre pour lui mais il avait aussi tendance à se sentir un peu coupable quand cela arrivait. « Ou… ou alors laisse-moi t’aider ! Choisis ce dont tu as envie, je n’ai pas très faim de toute façon… mais laisse-moi t’aider. » proposa finalement le jeune homme pour faire bonne figure, et ne pas laisser Mickaëla le servir comme s’il était un incapable, ou un macho refusant de mettre la main à la patte.

Christopher détestait le fait de devoir dépendre de quelqu’un. Les expériences douloureuses qu’il avait connues par le passé lui avaient appris à se montrer totalement indépendant, et il avait encore aujourd’hui beaucoup de mal à accepter de se faire servir. Même par la personne qui était certainement la plus proche de lui depuis quelques mois : Mickaëla. Aussi, sans pour autant refuser le petit déjeuner gargantuesque qu’elle lui proposait, le jeune homme se porta volontaire pour l’aider à le préparer, en lui faisant bien comprendre que cette condition n’était pas négociable. Acceptant bon gré mal gré que le britannique lui donne un coup de main, Micka abdiqua finalement en tendant à Chris le saladier plein de pâte qu’elle était en train de préparer. « Tiens, met un peu de sucre dedans et mélange ça si tu veux ! » lança-t-elle avec un sourire qui, comme à chaque fois, eut pour effet de réchauffer un tant soit peu le cœur de Chris. Sans attendre, il s’exécuta avec la plus grande application pour continuer la recette de son amie sans la gâcher par maladresse.

Laissant Mickaëla vaquer à ses occupations, puisqu’elle tenait clairement les rênes de ce petit déjeuner qui s’annonçait, Christopher fut néanmoins forcé de relever la tête vers elle en la voyant quelque peu en difficulté. Perchée sur la pointe des pieds, Micka tentait désespérément d’attraper quelque chose dans un des placards de la cuisine, geste qui fit immédiatement sourire Christopher. Décidément, elle parvenait à le faire se sentir mieux, et ce même sans le vouloir ou sans le savoir. Avant de se lever pour l’aider, Chris laissa presque malencontreusement trainer son regard sur la silhouette élancée de la jeune femme. Et, alors que son t-shirt remontait bien plus haut que ce que la décence l’autorisait, il se surprit à s’attarder sur ses formes. Jamais auparavant il ne l’avait regardée ainsi et soudain, une vague de gêne s’empara de lui.  Un peu déstabilisé et pour le moins mal à l’aise, Christopher se redressa rapidement en tentant de paraitre le plus normal possible et s’approcha de Micka pour l’aider. Tout naturellement, comme il aurait pu le faire en temps normal, le jeune homme posa sa main sur la hanche de son amie afin de se hisser à son tour et se saisir du sachet de pain qu’elle visait. Mais en se rendant compte de son geste, il retira prestement sa main tout en déposant le pain sur la table et en lançant un regard quasi-paniqué à Mickaëla. Mais en tournant la tête vers elle, il se retrouva à quelques centimètres à peine de son visage et la gêne qu’il ressentait se fit encore plus présente. Incapable de dire ou de faire quoi que ce soit, Chris se contenta de rester là, tout près d’elle et les yeux rivés sur ceux de Lena en espérant qu’elle les sorte de là, en priant pour qu’il soit le seul à trouver la situation terriblement étrange et presque malsaine…

La situation était terriblement gênante, et Christopher aurait aimé pouvoir s’en échapper, pouvoir fuir dans sa chambre et se retrouver seul, loin de Lena et de cet effet inattendu qu’elle semblait lui faire. Pourtant, le jeune homme restait indéniablement immobile. Ses yeux rivés sur le visage de son amie, il semblait incapable d’esquisser le moindre mouvement ou même de prononcer le moindre mot. Et le plus troublant dans cette histoire était sans aucun doute le fait que Lena semble aussi mal à l’aise que lui. Il aurait pu se faire des idées, croire qu’il se passait quelque chose à ce moment précis alors que ce n’était pas le cas… mais Chris avait l’intime conviction que son sentiment était partagé. Tout à coup, la manche de la jeune femme glissa sur son épaule, ce qui fit dévier le regard du britannique toujours aussi confus. Au même moment, la main de Mickaëla effleura la sienne et un frisson parcourut son dos sans qu’il ne comprenne exactement comment tout cela était possible. Jamais auparavant il ne s’était senti comme ça en présence de sa colocataire mais tout à coup, il avait l’impression d’avoir refoulé des tonnes de sentiments depuis plusieurs mois. Mais même s’il était horriblement mal à l’aise, Christopher dirigea sa main vers l’épaule de la jeune femme et replaça délicatement son pull sur sa peau dénudée sans la quitter des yeux. Mais alors que la situation était on ne peut plus tendue, le bruit d’une porte derrière eux détourna l’attention de Chris.

Les deux jeunes gens eurent à peine le temps de s’éloigner que déjà, la pette Lilly faisait son apparition dans la pièce. « Coucou... » murmura-t-elle alors que Lena filait pour la prendre dans ses bras. Les yeux de Chris s’attardèrent une dernière fois sur ses formes, avant que ce dernier ne se gratte la nuque en détournant le regard presque honteusement. Il n’avait pas le droit, il ne pouvait pas porter un tel regard sur Lena. C’était un peu comme s’il trahissait Betty, et Owen par la même occasion. Tachant de chasser toutes ces pensées de son esprit, il attrapa Lilly au vol lorsqu’elle se précipita pour lui faire un câlin, et déposa un baiser sur son front avant de la relâcher. « J'ai faim comme un loup ! » s’écria la petite fille, arrachant un sourire à Chris qui laissa le soin à Micka de la corriger gentiment. Un peu désemparé, le jeune homme restait planté au milieu de la cuisine, se donnant comme seule mission d’éviter tout contact, qu’il soit visuel ou physique, avec Lena. Et pour cela, il se précipita vers Lilly pour l’aider à grimper sur sa chaise sans prendre de risques. Puis il s’installa à côté d’elle et ébouriffa ses cheveux en demandant : « Tu as bien dormi princesse ? »

Pendant toute la durée du petit déjeuner, Christopher évita consciencieusement de croiser le regard de Lena, préférant se concentrer sur Lilly et sur le contenu de son assiette. En véritable petite boule d’énergie qu’elle était, la fillette ne tarda pas à terminer son petit déjeuner et à filer vers le salon en sautillant afin d’aller retrouver ses jouets, laissant du même coup Chris seul avec Lena. Ce ne fut qu’à ce moment-là, en se levant pour débarrasser la table, que le britannique daigna enfin reposer ses yeux sur la jeune femme. Il était toujours aussi honteux, et s’empressa de baisser la tête de peur que son esprit ne lui rejoue le même tour qu’un peu plus tôt dans la matinée. Après avoir déposé les assiettes au fond de l’évier, Chris prit une longue inspiration. Il ne pouvait définitivement pas rester comme ça, et serait bien amené à affronter la réalité un jour ou l’autre… alors autant le faire maintenant. Avant que la situation en devienne vraiment irréparable. Il se racla donc la gorge et, sans oser regarder Lena dans les yeux, s’excusa : « Euh… je… désolé. Pour toute à l’heure. Enfin… je sais pas ce qu’il s’est passé… »

La situation était devenue affreusement gênante et malgré l’arrivée de Lilly et son entrain habituel, Christopher avait bien du mal à redescendre sur terre. En règle générale, la petite fille avait une sorte de pouvoir sur lui : celui de lui faire oublier tous ses tracas au moins pour quelques temps. Mais cette fois, rien ne semblait pouvoir effacer la scène qu’il venait de vivre auprès de Micka. Tout au long du petit déjeuner, le jeune homme s’appliqua d’ailleurs à ne pas croiser son regard, et à faire semblant de rien devant Lilly pour ne pas que cette ambiance pour le moins lourde ne lui pose trop de questions. Certes, elle était encore petite mais parfaitement capable de voir si sa mère ou lui n’allait pas bien. Ce ne fut que lorsque Lilly quitta la pièce, et que Chris se réfugia vers l’évier pour débarrasser la table, qu’il exprima le désir de mettre les choses à plat. Prenant son courage à deux mains, il fut le premier à reprendre la parole en s’excusant pour son geste, mais aussi pour tout ce qu’il venait de se passer. Et contre toute attente, Mickaëla commença par tourner leur conversation en dérision, en le soupçonnant de s’excuser pour son manque de talent en cuisine. Un peu surpris, Chris fronça les sourcils quelques instants, mais n’eut pas le temps de répliquer que déjà, la jeune femme s’avançait vers lui pour l’enlacer. « C'est rien...on est amis... » souffla-t-elle alors que Chris refermait instinctivement ses bras autour d’elle. Il aurait voulu pouvoir lui répondre, trouver les mots juste pour lui affirmer qu’ils n’étaient effectivement que des amis, mais la scène repassait en boucle dans son esprit. Il se sentait idiot, et terriblement coupable vis-à-vis de Betty. Si bien qu’après quelques instants de flottement, Chris se détacha de Mickaëla en prétextant : « Je…. Il faut que j’aille me préparer, il est déjà tard… » Sans demander son reste, le jeune policier quitta la cuisine en ne prenant même pas soin de se retourné, bien trop gêné par tant de proximité et d’ambigüité.

Après un passage éclair dans sa chambre, Christopher fila vers la salle de bain pour s’y enfermer. Il s’appuya alors contre le lavabo, et fixa son propre reflet dans le miroir en soupirant longuement. Immobile, il pensait et repensait encore au visage de Micka, à cette expression qu’elle avait arborée quand ils étaient si proches… Et plus il y songeait, plus son cœur battait la chamade. Chris se détestait d’être autant obsédé par ce faux pas, et malgré tous les efforts qu’il entreprenait, tout semblait toujours le ramener à Micka. Mais finalement, Chris secoua vigoureusement la tête et ôta tous ses vêtements pour filer sous une douche glacée, et ainsi tenter de remettre ses idées en ordre et d’oublier cet épisode des plus gênants.