Tous les jours on essaie de se voir.  Parfois pour un simple café, parfois pour partager une pizza devant un bon film, ou pour une petite sortie entre filles.  Des délires on peut dire qu’on en a eu toutes les deux, même si ces derniers temps ça n’a pas été si évident que ça.  J’ai un peu l’impression que tout est parti en cacahuète dans nos vies respectives depuis quelques mois.  Le deuil a frappé nos deux familles assez durement et ça a changé pas mal de choses.  J’avoue que j’admire ma meilleure amie, parce que de nous deux c’est elle qui a le mieux géré les choses.  Je sais qu’elle a été totalement dévastée, mais elle a eu beaucoup plus de courage que moi, et elle en a encore au jour d’aujourd’hui.  Elle avance.  Je ne sais pas comment elle fait, mais elle avance.  Moi je n’y arrive pas du tout, bien au contraire.

Pourtant j’ai essayé d’aller voir un psy il n’y a pas si longtemps.  Je me disais que peut être ça allait m’aider de parler à un inconnu, mais j’ai vite réalisé qu’à part remuer les choses, ça ne me faisait rien du tout.  Encore et toujours j’ai cette peur au fond de moi, une peur qui tient carrément de la paranoïa, comme si le destin avait décidé de s’abattre sur moi et qu’il ne comptait pas me lâcher de si tôt.  Qui sera le prochain de mon entourage à quitter définitivement ma vie ?  Quel sera l’être cher que j’aurai à pleurer ?  Je n’arrive plus à penser qu’à ça, c’est presque une obsession.  Je suis terrifiée et ça se ressent dans mon comportement, dans ma façon d’être.  La jeune femme gaie et pleine de vie a laissé place à quelqu’un de plus grave, de moins spontané, et plus le temps passe plus je me dis que cet état d’esprit n’est pas que temporaire, et j’avoue que je trouve ça plutôt inquiétant.

Je déteste être comme ça, je déteste le prix que j’ai à payer pour ne pas avoir la force de surmonter…  Ca m’a fait quitter Rhys et objectivement foutu ma vie en l’air.  Je n’imaginais même pas ne serait-ce que passer du temps avec un autre homme que lui.  Petite je craquais pour ses grands yeux clairs, adolescente j’étais mordue, adulte je l’aimais passionnément.  Il n’y avait pas de place pour un autre dans mon coeur et pourtant je l’ai fait sortir de ma vie pour ne pas avoir à le perdre.  J’imaginais ce que j’aurais à endurer et ça me semblait totalement impossible à gérer.  J’ai choisi la facilité ?  C’est ce que je croyais.  Mais aujourd’hui je me rends compte que je me suis condamnée moi-même.

Heureusement il me reste Jay, mon amie de toujours, ma soeur de coeur.  La voir correspond aux seuls moments de ma vie où je me sens vivre, où je retrouve des joies du passé, avant que tous ces événements ne bouleversent nos vies.  Ce soir nous nous sommes données rendez-vous dans un bar/restaurant sympa, « the distillery ».  Ce n’est pas là qu’on trouvera des touristes, c’est une ambiance plutôt familiale où les habitants de la ville se retrouvent pour finir agréablement la soirée avec un bon repas ou autour d’un billard.  On venait souvent ici et on connaissait les gens qui y travaillaient.  J’ai donc prévenu la serveuse qui s’occuperait de notre table que j’attendais Jayleen pour qu’elle puisse lui indiquer la table où j’avais pris place et attendais sagement que ma meilleure amie arrive, saluant de temps en temps de la main des clients de mon café que je reconnaissais.  Et enfin je la voyais arriver, je me levais et ouvrais les bras pour la serrer.


Salut princesse !  Comment tu vas aujourd’hui ?

   

Heureusement les choses n’avaient pas changé entre nous.  Ca aurait pu après tout, Jay aurait très bien pu m’en vouloir au point de ne plus vouloir me parler.  J’aurais compris.  Ca m’aurait brisé le coeur, mais j’aurais compris.  Pourtant elle ne m’a pas jugée sur ce coup là.  Elle a respecté mon choix, ne m’a jamais fait le moindre reproche, pourtant elle avait de quoi.  Je n’ai jamais osé lui demander comment allait son frère et ça aurait pu passer pour du je-m’en-foutisme, mais Jay me connait assez pour savoir que ce n’est pas le cas.  on se ressemble énormément toutes les deux, je crois que c’est pour ça qu’on s’entend si bien.  Toujours sur la même longueur d’ondes, on a à peu de choses près la même façon de fonctionner.  Fortes en apparences, presque trop fragiles au fond de nous, on s’est toujours serré les coudes pour traverser les épreuves, grandes ou petites, de nos vies.  Des petits bobos aux grandes désillusions, on a toujours été là l’une pour l’autre et on a avancé ensemble.  Un duo de choc, c’est certain !

Je l’ai vue hier, elle est venue prendre un café au Coffee-O-Logy, et pourtant j’avais hâte qu’elle arrive.  Ma petite bouffée d’oxygène, la seule chose qui restait stable dans ma vie, c’est elle.  Et puis son sourire est communicatif il faut bien le dire !  J’arrive à oublier pas mal de choses quand elle est là, c’est toujours agréable et ça me ressource.  Jayleen arrivait toute pimpante, dans ce look simple et chic qui lui allait si bien, et aussitôt un sourire se manifesta sur mon visage.  Je la prenais dans mes bras pour l’accueillir en l’appelant « princesse ».  C’est le petit surnom affectueux que je lui avais choisi.  La pauvre n’avait pas toujours eu facile avec ses deux noms de famille, surtout quand elle était petite.  Je me souviens qu’une fois elle pleurait à chaudes larmes et j’avais enroulé ses épaules de mon bras en lui disant qu’avec ce nom là, elle ne pouvait qu’être une princesse.  Depuis, ça lui était resté, je l’appelais souvent comme ça affectueusement.


Moi aussi je suis contente, j’avais même hâte de fermer le café, tu te rends compte ?


Je levais les yeux au ciel avec un air amusé.  C’est vrai que je suis devenue un bourreau de travail.  C’est difficile de me faire quitter mon commerce, d’autant plus que depuis ma séparation d’avec Rhys, je vivais à l’étage.  Autant dire que je ne sortais que très peu de ma tanière, et uniquement pour les choses obligatoires comme faire des courses ou aller chercher de la matière première.  Quand je fermais le Coffee-O-Logy, je grimpais à l’étage, enfilais des vêtements confortables et me mettais devant mon ordinateur avec une pizza surgelée.  Je surfais pour trouver des produits originaux et inédits provenant de tous les pays possibles dans le monde.  Des petites spécialités qu’on ne trouvait que chez moi et qui faisaient toute la différence avec les autres cafés.

Je prenais la carte que la serveuse me tendait et la remerciait d’un sourire avant de l’ouvrir et de jeter un oeil au menu, comme si je ne le connaissais pas déjà par coeur.  En même temps je prenais souvent des trucs à emporter parce que je ne cuisinais plus.  Avant oui, c’était même un plaisir de faire la cuisine, j’adorais ça !  Mais faire de la cuisine uniquement pour soi, ça a un petit côté tragique qui ne me plaît absolument pas.  Alors maintenant c’est plats préparés ou à emporter, je ne me casse plus la tête.


Journée tranquille même si le café était bien rempli.  Mais je n’ai pas eu de client casse-pieds, c’est le plus important !


Il fallait se les faire, les clients casse-pieds.  Certains étaient passés maîtres en la matière d’ailleurs.  C’était comme s’ils ne savaient pas quoi inventer pour râler.  Un gars s’est même plaint un jour de l’apparence de la cannelle.  « C’est quoi ce truc ? » m’a-t-il demandé en me montrant le bâton. « Un bâton de cannelle Monsieur ».  « Et pourquoi c’est en bâton ?  Je paie assez cher pour qu’on me la mette en poudre non ? »… On croit rêver, hein ?  J’ai eu beau lui dire que la cannelle en bâton conservait bien mieux ses arômes et que sa qualité gustative était donc supérieure, rien n’y fit !  Garder le sourire pour râper sa cannelle au dessus de sa tasse pour qu’il me foute la paix a été un véritable défi, mais je l’ai relevé et je n’en suis pas peu fière.


Et ta journée à toi ?  Les enfants ont été sages aujourd’hui ?

   

Une pina colada, une tartelette au saumon-mascarpone, le repas commençait sous les meilleurs auspices. Avec Jay, j’étais toujours à l’aise. Déjà je me sentais plus détendue que je ne l’avais été toute la journée. Un effet magique que ma meilleure amie avait sur moi. Jayleen avait un merveilleux côté maternel. Son métier, il est fait pour elle, tout simplement, les enfants sont immédiatement en confiance en sa présence et je sais déjà que d’ici une vingtaine d’années, elle va croiser de jeunes adultes qui viendront la saluer et lui diront qu’elle aura été la maîtresse d’école qui les aura marqué, celle qu’ils ont préféré et gardé toujours dans leur coeur. Alors ça ne m’étonne pas qu’elle dise qu’aujourd’hui encore ils avaient été adorables et avides d’apprendre. Jay, quand elle parle, on l’écoute. Pas parce qu’on a peur de ne pas le faire et de se faire gronder, mais parce qu’elle est passionnante. Elle aime tant son métier qu’elle y met tout son coeur, les enfants ne peuvent qu’être touchés par ça, même s’ils ne s’en rendent pas compte.

Et que dire du travail qu’elle fait à l’hôpital en tant que bénévole ? Comme si son métier n’était pas déjà assez… Le travail d’une institutrice ne se limite pas aux heures de cours ! Les cours, il faut les préparer, corriger les interros, les devoirs, faire les bilans des enfants… Ca prend un temps fou ! Et pourtant du temps elle en trouve encore pour faire la lecture aux malades. Je trouve ça complètement incroyable qu’elle mène de front ces deux casquettes, elle est vraiment exceptionnelle cette fille.


Tu es la meilleure personne que je connaisse Jay.


Je l’admirais beaucoup, mais ça elle le savait, je n’avais jamais manqué de le lui dire. Jayleen était un exemple, elle rendait foi en l’être humain à elle seule avec tout l’amour qu’elle charriait. Moi je suis bien plus impulsive et rancunière, impatiente… Je n’ai pas toutes les qualités exceptionnelles de ma meilleure amie mais elle m’inspirait, tous les jours. Je lui tirais la langue alors qu’elle m’appelait « pépin ». Ca aussi c’était un truc d’enfance qui était resté. Je plantais ma fourchette dans la tartelette chaude que la serveuse venait de nous servir et en détachais un morceau sur lequel je soufflais avant de le porter à ma bouche. J’allais en prendre un second morceau lorsque mon amie me posa une question à laquelle je ne m’étais pas attendue… Mais alors pas du tout !


Quoi ? Je…


Bon allez Pep’s, il faut que tu te reprennes, elle t’a posé une question simple qui en temps normal t’aurait enchantée. La fête des fondateurs, je ne ratais jamais ça… En fait je ne ratais jamais une occasion de m’amuser ou de passer de bons moments. enfin ça… C’était avant. Là, la seule chose qui me venait à l’esprit, c’est qu’il y avait toutes les chances pour que je croise Rhys. Et je ne voulais pas affronter ça, je ne voulais pas affronter son regard, me souvenir de ce que je lui avais fait et à quel point je m’en veux.


Tu sais le vendredi soir je suis crevée et… Le samedi c’est le plus gros jour de la semaine alors je vais me coucher tôt… Quand je ne m’endors pas sur le canapé ! Franchement je ne serai pas en forme pour ça, je préfère être raisonnable.

   

La fête des fondateurs… J’aurais dû y penser.  J’aurais dû me douter qu’elle allait me demander pour y aller.  Si j’y avais pensé, au moins j’aurais pu prévoir le coup, organiser un voyage à l’étranger pour trouver des nouveautés pour le café, ça m’aurait donné une bonne raison de ne pas pouvoir y aller.  Mais là j’étais prise de cours, je devais improviser, donner une explication valable à un refus qui ne passerait évidemment pas.  Et bien sûr, ça n’est pas passé.  Jayleen me fait son regard de cocker mouillé, vous savez ?  Le genre qui vous fend le coeur !  Elle sait comment me prendre par les sentiments et là vous voyez, elle en joue à fond.  Elle promet de m’aider bénévolement le samedi, me propose de demander à une collègue de faire l’ouverture à ma place, y vas à coups de « s’il te plaît » suppliants.  Vous voyez, dans d’autres circonstances, j’aurais été morte de rire, cette façon de faire m’aurait amusée au plus haut point.  Mais là… Ca m’ennuie plus qu’autre chose, parce que je déteste contrarier Jayleen, parce que je ne supporte pas l’idée de lui faire de la peine.


Jay…  


C’était peu de choses n’est-ce pas ?  Oui, ce qu’elle me demandait était peu de choses… Mais pourtant pour moi c’était énorme.  Je ne pouvais pas y aller, je refusais d’y aller, je n’avais pas la force d’affronter ça.  Mais comment lui dire les choses ?  Je me suis toujours confiée à Jay, pour les petits et les grands bonheurs, pour les obstacles qui jalonnaient ma route.  Je parlais de mes doutes, de mes frustrations, de mes envies, de mes réussites et de mes échecs.  Jamais je n’ai eu de secrets pour elle, on pouvait tout se dire toutes les deux.  Ce n’est pas par manque de confiance que je ne lui ai rien confié sur tout ce qui me troublait depuis un an…  C’est juste que je n’y arrivais pas, je ne parvenais pas à mettre des mots, j’avais aussi un peu honte de l’état dans lequel j’étais.

Jayleen n’en avait pas fini d’essayer de me convaincre, et là elle a commencé à me parler de Rhys.  Je crois qu’elle ne se rend pas compte de ce que ça provoque chez moi d’entendre parler de lui, de l’entendre dire que je lui manque, que ça ne le dérangerait pas que je vienne à cette fête des fondateurs.  Elle me dit même que ça lui fait mal que je ne sois plus dans sa vie.  Bon sang…  Je sens l’émotion me submerger.  Gérer ce qui est en train d’arriver n’est franchement pas dans mes cordes et déjà mon regard se trouble.  J’ai envie de répondre, d’essayer de dire quelque chose de concret, sur un ton léger comme je l’avais fait tout à l’heure… Mais à chaque fois que j’ouvre la bouche, je la referme immédiatement.  Les mots ne viennent pas et je me sens de plus en plus mal.


Je… Excuse-moi une minute.


Je me lève d’un bond et sans attendre je me retourne pour me diriger vers les toilettes d’un pas pressé.  Dès que la porte se referme derrière moi j’éclate en sanglots.  Fallait que ça sorte, c’était plus fort que moi, et je ne voulais pas offrir ce spectacle à ma meilleure amie…

   

Bon sang de bois… Je déteste être comme ça. Depuis le début de nos malheurs respectifs je fais de mon mieux pour garder la tête haute. J’ai veillé sur Jay et Rhys quand Marc est mort, j’ai fait de mon mieux pour les tenir debout avec moi… Et quand ce fut au tour de maman et Peter de nous quitter je ne me suis pas autorisée à m’écrouler devant eux. J’ai tellement bien réussi mon coup que ni ma meilleure amie ni l’homme de ma vie n’ont compris pourquoi j’avais quitté ce dernier. Je ne veux pas mettre cette pression sur les épaules de Jay, c’est plus facile qu’elle ne soit pas au courant de mes états d’âme. J’aurais voulu qu’elle ne voie pas à quel point le sujet me touche, qu’elle n’assiste pas à ce débordement de larmes. Mais espérer qu’elle ne me rejoigne pas dans les toilettes est pure utopie… A peine quelques secondes que je suis là et déjà la porte s’ouvre sur une Jayleen avec un air totalement désolé.


Non ne… Ne t’excuse pas… Ca va…


Tu parles que ça va ! Elle n’est pas dupe et me prend dans ses bras. Bien entendu ça ne fait qu’attiser mes pleurs. Qu’est-ce que je me sens conne ! Tout ça pour la fête des fondateurs, parce que j’ai entendu que je manquais à Rhys, que je me suis retrouvée face à la conséquence de mes actes, de mes faiblesses. Les vannes étaient clairement ouvertes, je pleurais à chaudes larmes, comme si je versais tout ce que j’avais retenu jusque là. Je me doute bien que mon amie doit avoir envie de me poser des milliers de questions, qu’elle a envie de me dire des tas de choses. Mais je la connais bien, je sais qu’elle ne le fera pas, par pudeur, pour ne pas me mettre mal à l’aise. Est-ce que je vous ai déjà dit à quel point ma meilleure amie était extraordinaire ?


Je sais, ça doit être horrible pour toi… Je suis désolée de te mettre dans une telle position princesse…


La pauvre… Entre Rhys et moi, elle devait en entendre ! Elle était entre deux feux et devait vraiment se sentir mal dans cette position inconfortable. Elle nous voyait tous les deux, nous aimait tous les deux et nous voyait malheureux.

Parler… Mais pour lui dire quoi ? Qu’est-ce que je pouvais bien dire à Rhys ? La vérité, oui, je sais, ça serait bien, mais encore faut-il avoir le courage de la lui dire et ça c’est une autre histoire. En plus à quoi ça mènera ? Après ce que j’ai fait il doit me détester, clairement… Et franchement je le comprends. Je lui manque ? Je peux le croire, c’est normal, mais de là à ce qu’il soit prêt à me pardonner, je ne crois vraiment pas. Affronter ça… Je ne m’en sens pas capable.

Alors je me mure dans le silence et prends le mouchoir qu’elle me tend pour essayer de retrouver apparence humaine. Je suis soulagée, au moins elle ne va plus insister pour que je l’accompagne à cette fête des fondateurs. C’est déjà ça, même si ça ne me console pas vraiment. Je lui adresse cependant le plus beau sourire que je peux sortir et hoche la tête en signe d’assentiment.


Oui allons-y.


Je prends une grande inspiration et nous retournons à notre table. On doit essayer de passer au dessus de ce qui vient de se passer, la soirée ne fait que commencer et je ne veux pas la gâcher, je suis trop contente d’être avec Jayleen.


Tu as refait du bénévolat à l’hôpital ces derniers temps ?

   

Il fallait absolument qu’on parle d’autre chose, qu’on évoque un autre sujet si je ne voulais pas péter un plomb à nouveau. Je sais que Jayleen est une fille discrète et empathique, qu’elle est à l’écoute des autres et me connaît mieux que personne. Heureusement je pense pouvoir dire sans me tromper qu’elle a compris que j’avais eu ma dose pour ce soir. J’ai clairement mal réagi quand elle m’a parlé de Rhys, même si j’aurais voulu faire comme je fais d’habitude et être plus discrète. Cette histoire va la travailler, je le sens bien, et je ne sais vraiment pas ce que je vais lui dire pour paraître logique. Lui avouer que j’ai une plaie béante qui s’élargit toujours un peu plus à chaque fois que je pense à lui va lui sembler suspect, elle va me demander alors pourquoi je l’ai quitté et pourquoi je me bute dans cette attitude. La vérité c’est que je ne le sais pas moi-même, pourquoi je me bute… Par peur de la machine arrière, parce que je suis persuadée que contrairement à ce que me dit sa soeur, il m’en veut à mort de ce que je nous ai fait. J’en sais rien, c’est compliqué. Alors pour éviter d’entrer dans un débat dont je ne pourrai pas me dépêtrer, je commence à lui parler de son travail en tant que bénévole à l’hôpital. Je sais à quel point elle aime cette activité, ça va l’inspirer de m’en parler !


Très charmant ?


L’occasion était trop belle, j’ai sauté dessus à pieds joints. En plus l’histoire m’intéressait vraiment… Ma meilleure amie était célibataire, ça me plairait bien de la voir heureuse avec un homme un de ces jours, elle le méritait plus que personne. Mon air mutin a cependant mis en route son signal d’alarme anti-curieux. Le Monsieur charmant était marié et avait un enfant… Zut ! Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de lui répondre puisque la serveuse revenait prendre nos assiettes. Par la même occasion, elle nous servit deux nouveaux cocktails, de quoi me rendre pompette à coup sûr ! Si vous ne le savez pas déjà, sachez que je tiens très mal l’alcool et que trois verres de vin me font rouler sous la table.


Tchin !


Je cognais mon verre contre le sien avec un sourire alors que nos plats arrivaient. Une odeur succulente s’échappait du tajine d’agneau au miel que j’avais commandé. Bon sang moi aussi j’en avais l’eau à la bouche ! J’adorais vraiment venir manger ici, j’espère qu’ils n’auront jamais la mauvaise idée de changer de chef !


Je crois qu’il est inutile de se souhaiter un bon appétit, je vois mal comment on ne pourrait pas se régaler ! Enfin… Bon appétit quand même princesse !


Je lui adressais un clin d’oeil et piquais ma fourchette dans un morceau de viande tendre à souhait. Les épices utilisées régalaient mes papilles et le miel en adoucissait les effets brûlants. Je vous confirme : c’est un régal ! Mais je suis toujours dans l’optique d’oublier ce qui vient de se passer. Il faut qu’on continue à parler pour que je puisse rester dans la bonne humeur, c’est essentiel. Alors je décide de ne pas lâcher l’affaire sur le Monsieur charmant.


Dis-moi… Ton Monsieur Charmant là… Tu es sûre que son mariage va bien ? Parce qu’on ne sait jamais après tout, non ? Surtout si tu n’as fait que croiser la dame une fois ou deux… Je veux dire… Il me semble que quand la personne qu’on aime est à l’hôpital et dans le coma on y passe le plus de temps possible, non ? Je ne sais pas hein ? Je dis ça comme ça… Sinon il est charmant comment ? Un peu ? Beaucoup ? Passionnément… ?

   

Jayleen et les hommes, c’était pas vraiment ça.  Je désespérais de la voir un jour heureuse dans une relation stable mais jusqu’ici elle n’est tombée que sur des crétins incapables de réaliser le petit trésor qu’ils avaient croisé sur leur route.  A mon sens elle avait toutes les qualités du monde.  La gentillesse, la générosité, la douceur, l’humour, le courage, la beauté, la sincérité et la loyauté ne sont que quelques uns de ceux qu’on remarque au premier abord.  Qu’elle soit encore célibataire était presque honteux, mais j’avoue que je préfère la voir seule que mal accompagnée.  Il faut dire que Rhys veillait au grain… Et moi aussi, même si je le faisais de façon beaucoup plus subtile.  Contrairement à son frère, je l’encourageais toujours quand elle me parlait d’un homme.  Le prince charmant pouvait se cacher partout après tout, ça serait bête qu’elle passe à côté.  Aussi je ne voyais pas pourquoi elle devrait totalement renoncer à ce garçon dans le coma qui semblait lui plaire.  On ne sait jamais, on ne connait pas les tenants et les aboutissants de son histoire et je lui faisais remarquer que si elle n’avait fait que croiser sa femme une fois ou deux, c’est peut être parce que leur couple n’est pas si solide que ça.


Le fait d’avoir un bébé ne veut rien dire… Non seulement l’arrivée d’un enfant peut faire exploser un couple, mais rien ne dit qu’ils n’avaient pas déjà des difficultés avant même qu’elle apprenne qu’elle était enceinte !  Ne te base pas là-dessus, c’est pas un critère.


C’est drôle, mais sans m’en rendre compte je redevenais la Pepper battante et optimiste que j’avais toujours été jusqu’à un an auparavant.  Pour séduire Rhys, je m’étais totalement remise en question, j’avais gagné en féminité, je m’étais prise en main pour changer de look et être un peu moins garçon manqué.  Pourtant il y avait toutes ces filles sublimes qui n’attendaient qu’un mot pour fondre dans ses bras… Mais je n’ai pas renoncé, je me suis battue pour lui.  Je chassais ces idées de ma tête pour revenir au sujet du moment.  Charmant quand il dort… Je souriais.  Espérons qu’il n’est pas charmant que quand il dort sinon ça risque d’être compliqué !  Remarquez, c’est un début.  Le principal c’est qu’elle l’ait remarqué, pour le reste on a tout le temps de voir venir.


Hey !  Personne ne te dit que tu dois lui sauter dessus Princesse !  Si ça se passe mal dans son couple, ça n’a de toute façon rien à faire avec toi.  C’est pas comme s’il avait trompé sa nana avec toi, tu n’es pas responsable de leur situation.  Continue d’aller le voir, quand il se réveillera, tu en sauras sans doute plus et tu verras bien en fonction.  Si c’est le grand amour avec sa femme, OK, tant mieux pour eux, mais si ce n’est pas le cas… Reste présente, sois patiente et attends qu’il soit vraiment disponible pour lui proposer d’aller boire un verre par exemple… Les choses se feront naturellement, arrivera ce qui doit arriver, mais ne renonce pas si vite, laisse une porte ouverte, on ne sait jamais…

   

Oui, on verra quand le Monsieur Charmant se réveillera. De toute façon je ne compte pas en rester là, c’est pas mon genre de me désintéresser et je compte bien prendre des nouvelles de temps en temps, histoire de voir comment les choses évoluent… Ou pas ! Forcément la vie privée de ma meilleure amie m’intéressait. Je n’étais pas non plus d’une curiosité malsaine, à la harceler de questions ou à chercher à savoir par tous les moyens. Mais mon instinct de protection faisait que j’avais besoin d’être à la page pour surveiller de loin, veiller sur elle comme il se doit. J’avais aujourd’hui décelé chez mon amie un petit air d’intérêt pour ce garçon dans le coma. Bien entendu ça ne pouvait pas être vraiment sérieux pour l’instant, elle ne savait rien de lui… En tout cas trop peu pour en être amoureuse. Si ça se trouve, c’est un vrai psychopathe, un con fini, un alcoolique invétéré, un gros prétentieux ou un égoïste patenté ! Elle ne pouvait pas savoir, la surprise aura lieu à son réveil… Mais ça ne l’empêchait pas de le trouver « charmant », ce qui était un bon début, Jay n’est pas le genre de fille à trouver tout homme séduisant « charmant ».

Je levais soudain le nez de mon assiette. Quoi ? Comment ça qu’est-ce qui ne va pas chez elle ? Je la regardais comme si elle venait de m’avouer avoir vu le fantôme d’Elvis la saluer… Sérieusement ? Elle se demande vraiment si elle est repoussante ? Comment peut-elle imaginer une chose pareille ? Non mais franchement là, c’est n’importe quoi, il faut que j’intervienne ! Je posais ma fourchette et mon couteau avec conviction et fixais ma meilleure amie avec tout le sérieux dont j’étais capable pour qu’elle m’écoute avec attention.


Depuis quand est-ce qu’il y a une date limite ? On parle bien d’amour là, n’est-ce pas ? Pas d’aventures d’un soir ou d’histoires de quelques semaines ? Parce que pour ça, tu n’as qu’à mettre un truc super sexy et trémousser ton popotin sur une piste de danse et je te garanti qu’ils vont faire la file devant chez toi ! Mais l’amour, c’est quelque chose de rare, c’est pour ça que c’est précieux. Ca vient quand ça vient, il ne faut pas forcer ça ne sert à rien. Tu es une fille magnifique Jay… Au dedans et au dehors. L’homme qui aura ton coeur est un vrai veinard et je suis certaine que tu ne resteras plus longtemps seule.

   

Quand j’y pense, Jay n’a jamais eu de chance avec les garçons. Pourtant tous ceux avec qui elle avait espéré vivre une belle relation semblaient bien de prime abord, mais ils se montraient vite décevants. A chaque fois c’était la même chose et je me demandais comment il pouvait y avoir autant d’imbéciles autour de nous. Pourquoi elle tombe sur eux ? Je n’en sais rien… Mais ce dont je suis sûre, c’est qu’elle mérite le meilleur homme de la planète… Voir qu’elle doute d’elle-même à cause de ces échecs et qu’elle en arrive à se remettre en question me hérisse le poil et je me dépêche vite de la rassurer, parce que franchement si j’étais un homme, je verrais en Jayleen la femme idéale que j’ai envie de choyer comme un trésor. Le fait est que ce n’est pas toujours évident de tomber sur la personne idéale pour nous, certains mettent des années à trouver chaussure à leur pied. Moi j’ai eu de la chance… J’avais quatre ans quand j’ai rencontré l’homme de ma vie… Même si nous sommes séparés aujourd’hui, j’en ai parfaitement conscience et c’est justement ce qui fait si mal.

Comme mon amie, je continuais de manger mon plat après lui avoir dit ce que je pensais de tout ça. J’avais à coeur de la protéger, même d’elle-même, et ça passait par lui rappeler certaines évidences. Son prince charmant n’était peut être pas loin… Peut être qu’elle l’a déjà croisé sans se rendre compte de quoique ce soit, peut être que ça sera un nouvel instituteur dans son école à la rentrée prochaine, ou à la suivante… Qui sait quand le destin a décidé de lui faire rencontrer son âme soeur ? Quand on attend ça doit être long mais je ne voulais pas qu’elle désespère. Après avoir bu une gorgée de vin, je répondais à sa nouvelle question, cette fois centrée sur mon travail.


Elle est pas mal oui… Je ne crie pas encore victoire, je laisse venir, mais jusque là elle me donne satisfaction. Les affaires tournent bien, le chiffre est meilleur d’année en année ce qui m’a permis de liquider déjà pas mal de dettes.


Je hochais la tête et souriais. Au moins quelque chose qui fonctionnait bien dans ma vie. Le café avait retenu toute mon attention cette année, j’y avait passé presque tout mon temps et quand je n’y étais pas, je m’en occupais en contactant des fournisseurs, en cherchant de nouvelles exclusivités à présenter… Ca m’occupait l’esprit, j’avais l’impression d’être utile à quelque chose et ça m’aidait à avancer… Ou du moins à ne pas couler d’avantage si je veux nuancer plus justement les choses.


Demain je vais recevoir de nouvelles choses, alors si tu veux passer après la fermeture, tu me diras ce que tu en penses ? J’aurai des mekrouds du Maghreb, de la brioche polonaise et des baklavas d’Arménie !

   

J’avais levé les yeux au ciel avec un petit sourire amusé.  C’est vrai Heather et Jayleen avaient été d’un soutien très important pour moi quand j’ai décidé d’ouvrir mon affaire.  Avec Rhys, ils avaient tous les trois été présents dans toutes les étapes, du choix du nom à celui de la décoration et des produits.  Jamais je ne m’étais sentie seule et je pouvais toujours compter sur eux pour me donner leur avis quand j’avais une hésitation.  Je pouvais compter sur leur honnêteté, je savais que si je faisais fausse route ils me le diraient et ça avait un côté très rassurant.  Je me sentais bien dans ce rôle professionnel, je sentais que j’étais faite pour ça et que je ne m’étais pas trompée de voie.  Mon choix professionnel avait été le bon et je prenais toujours autant de plaisir à chercher partout dans le monde des spécialités inconnues dans nos contrées.  Les clients étaient réceptifs, je veillais à garder des prix raisonnables pour que tout le monde puisse se faire plaisir.  Si ma marge était minime, ça me permettait de bien vendre le produit et d’avoir de la demande, de faire de plus grosses commandes et de faire ainsi baisser le prix d’achat.  Je m’y retrouvais et ça m’amenait une clientèle de plus en plus nombreuse, des gens qui aimaient faire des découvertes exotiques et sur lesquels je pouvais compter pour le bouche à oreilles qui m’amenait toujours une clientèle plus nombreuse.  Oui, mon affaire fonctionnait bien, de mieux en mieux même, et c’était un sujet de satisfaction pour moi.


Je vais prendre des profitéroles.


Non, mauvaise idée Pepper…  Ici on servait une assiette plus que généreuse, raison pour laquelle quand je venais ici avec Rhys, on avait pour habitude de commander des profitéroles, une assiette pour deux, avec deux couverts.  Personne pour partager mes profitéroles aujourd’hui, et puis même, je ne voulais pas les partager avec quelqu’un d’autre, ça serait trop… Etrange.


J’ai changé d’avis !  Je vais plutôt prendre un sorbet citron vert s’il vous plaît.


Je hochais innocemment la tête quand Jay me fit remarquer qu’elle ne savait jamais quoi prendre… J’espère qu’elle ne s’est rendue compte de rien.  En tout cas si c’est le cas, elle fait semblant de rien et je lui en suis reconnaissante.  Je peux ainsi enchaîner sur un autre sujet, malgré tout proche des desserts et lui proposer de venir goûter quelques nouveautés que je vais bientôt recevoir au café.  


Oh là non, je n’oserais pas !  Et d’ailleurs en parlant d’Heather il faut que je l’appelle pour qu’elle vienne goûter aussi…


Je l’avais un peu négligée ces derniers temps.  Enfermée dans ma bulle, je ne voyais pratiquement plus que Jay.  L’idée de voir du monde ne me plaisait pas vraiment, même des gens que j’aimais beaucoup et avec lesquels j’étais très proche.  Mais là c’était chez moi, juste nous trois, c’était l’occasion de se voir…

   

J’ai beaucoup de chance, je suis bien entourée… Jayleen est la meilleure amie qu’on puisse avoir et Heather m’est également très précieuse.  Inutile d’avoir trente six copains quand on a des gens comme ça sur qui compter, elles en valent cent à elles seules.  Jay aurait pu m’en vouloir d’avoir quitté son frère et de l’avoir rendu malheureux, elle avait tous les droits d’être en colère contre moi à cause de ça, je n’aurais pas pu l’en blâmer… Mais elle est restée à mes côtés, fidèle, sans me juger.  Heather aussi a respecté mon choix, elle ne s’est pas montrée insistante comme certains, bien moins proches, l’ont été.  C’est dans ces moments là qu’on reconnaît ses vrais amis, je sais qui ils sont.

Alors bien entendu, c’est avec elles que je partage tout.  Les bons comme les mauvais moments, mais surtout les bons.  Je n’aime pas les inquiéter ou les ennuyer avec mes problèmes, je préfère de loin leurs éclats de rire à leurs mines compatissantes.  Les inviter régulièrement à goûter les spécialités que j’importe du monde entier est une façon de les impliquer dans ma vie de façon agréable, de passer de bons moments avec elles.  J’ai perdu le goût aux sorties, si je me fais encore un restau de temps en temps avec une de mes amies ou les deux, ça s’arrête là.  Alors oui, je sais que Heather sera contente, son âme de gourmande ne peut permettre qu’il en soit autrement !

Le dessert arrivait, pour moi la meilleure partie du repas.  Moi aussi je suis gourmande, plus que la moyenne, ce que j’avoue sans la moindre honte.  Je plonge ma cuillère dans le sorbet glacé à souhait et frissonne à la légère pointe d’acidité du citron vert, savourant sa fraîcheur dans ma bouche.  Pendant ce temps là, Jay me fait part de ses projets avec les enfants qu’elle va emmener au théâtre.  Cette histoire m’en rappelait une qui nous concernait toutes les deux et qui me faisait encore rire.  On n’avait que huit ans à l’époque, mais je m’en rappelle comme si c’était hier.


Tu te souviens quand on a été voir Peter Pan avec notre classe ?  Quand le câble qui soulevait Peter dans les airs a eu une faiblesse et qu’il s’est retrouvé à traverser la scène en faisant des cumulés à deux mètres du sol pour finir par se prendre la fausse pendule en pleine figure ?


Qu’est-ce qu’on avait pu rire ce jour là !  Le pauvre gars a fini par glisser lentement jusqu’à ce retrouver les genoux à terre, la joue contre le décor, à moitié assommé.  Tous les gosses riaient, les instit’s ne pouvaient pas s’empêcher d’en faire autant, et quand on nous a demandé quelle avait été la partie préférée de l’histoire, à l’unanimité ce fut ce moment là que tous les enfants ont choisi.


C’est génial en tout cas, les enfants vont adorer.  Vous allez voir quelle pièce ?

   

J’étais en train de me vider la tête et ça me faisait énormément de bien. C’était l’effet Jayleen ça, elle réussissait toujours à me faire mettre mes soucis de côté l’espace de quelques minutes ou quelques heures. J’aimais passer du temps avec elle, me rappeler des si bons moments qu’on avait passé ensemble quand on était petites filles. C’était une période tellement belle de notre vie… On était des petites filles heureuses et pleines de vies, élevées dans des familles aimantes qui nous offraient énormément d’amour. Nos deux familles avaient d’ailleurs fini par n’en faire plus qu’une. Tous nos souvenirs, on les avait en commun. Les pires, mais aussi les meilleurs. Ce fou rire idiot à une simple pièce de théâtre quand nous étions petites filles en faisait partie. C’est le genre de souvenir auquel on ne pense plus pendant des années et qu’un détail peut faire resurgir.


La même pièce ? Arrête tu me donnes envie d’aller là-bas et de saboter le matériel !


Je pouffais en plantant ma cuillère dans le sorbet. Pour sûr ça serait super drôle pour les enfants, mais beaucoup moins pour le pauvre Peter Pan ! Le nôtre avait eu de la chance, à part une grosse humiliation et une petite bosse, il s’en était sorti sans dommages. Je jetais un oeil amusé à mon amie qui semblait carrément se régaler avec son dessert. A voir la tête qu’elle faisait, elle devait en ce moment même être en train de vivre un véritable orgasme culinaire !


Dis-donc tu te régales on dirait !


A tomber par terre ? C’est bien ce que j’avais cru comprendre !


Echange de desserts pendant trois minutes ?


C’est un truc qu’on faisait quand on était petites filles. Quand Rhys était avec nous, on le faisait aussi… Tous on prenait un dessert différent et on les échangeait toutes les trois minutes pour avoir tous les goûts. Comme ça on pouvait s’empiffrer de glace, de tarte aux myrtilles et de crêpes. Encore un bon souvenir qui nous reliait toutes les deux, mais pour lequel Rhys manquait dans l’équation. Je tendais la coupe de glace et récupérais l’assiette avec la tarte au citron, un des desserts que je préférais moi aussi.


OK, je valide, c’est à tomber par terre ! Qu’est-ce que tu penses du sorbet ?

   

Jay fait partie de ma vie d’aussi loin que je m’en souvienne. Ma rencontre avec elle est d’ailleurs le plus lointain souvenir qui me vient en mémoire. Deux petites filles timides qui sont associées par la maîtresse le temps d’une activité et la magie a opéré. Ce genre de chose, ça me fait penser au destin, je me dis que ça doit exister, certaines rencontres doivent se faire absolument pour qu’une vie prenne son sens. Cette rencontre n’a pas eu d’effet que sur moi, ce sont nos deux familles qui se sont véritablement unies dans l’amitié. Et dans l’amour aussi, pour deux d’entre nous. On pourrait écrire un livre entier sur nos aventures qu’un second serait nécessaire pour tout ce qui n’est pas « racontable ». Comme tous les gosses, on a fait parfois des bêtises plus grosses que nous qui nous ont valu des ennuis et le temps passant, c’est devenu des souvenirs qui ont le don de nous faire rire et de nous faire regarder en arrière avec nostalgie.

Ce petit truc d’échanger nos plats, c’est un grand classique de notre bande. On faisait ça avec Rhys et Peter aussi, ce qui faisait toujours râler nos parents. Sauf que finalement ils se prenaient au jeu eux aussi et ils ont fini par le faire avec nous, ce qui rendait les choses encore plus amusantes, comme si on avait invité les « grands » à entrer dans notre petit monde de sales gosses. Jayleen fond sur le sorbet et moi je fonds pour la tarte au citron meringuée. Ca aurait été dommage de ne se contenter que d’un dessert ! Peter me manque… Rhys me manque… C’est comme ça tous les jours, toutes les heures. Alors partager ce moment avec ma meilleure amie, ma soeur de coeur, vous n’imaginez pas à quel point ça me fait du bien.


Et voilà, je suis bonne à courir pendant une heure demain pour éliminer tout ça !


Je me laissais retomber dans le fond de ma chaise avec un soupire de contentement, adressant un sourire à mon amie.


Je me disais que je t’accompagnerais bien un de ces jours à l’hôpital pour t’aider à distraire un peu les malades… Je suppose qu’on pourrait faire ça un dimanche quand le café est fermé ?