- « Pepper, tu feras équipe avec Jayleen ! »

C’est comme ça que tout a commencé, à l’école maternelle, quelques jours après la rentrée.  Une activité où on devait faire des équipes de deux et la décision de Mademoiselle Solange de nous placer ensemble, Jayleen et moi.  On s’est avancées timidement l’une vers l’autre et j’ai osé un petit sourire à peine esquissé, le début d’une amitié qui n’en finira jamais.




Mon père, je ne l’ai jamais connu.  En fait, je crois qu’il n’est même pas au courant de mon existence, ma mère ayant appris qu’elle était enceinte de moi quelques semaines après son départ.  Il n’a rien dit à personne, l’oiseau s’est envolé sans laisser le moindre mot, sans se soucier du devenir de sa femme et de son fils.  Parce que oui, j’ai un grand frère de deux ans mon aîné, Peter Allistair (moi je porte le nom de ma mère).  Je n’ai jamais vraiment souffert de l’absence de mon géniteur, car voyons les choses en face, il n’était que ça, et une figure paternelle, j’en ai trouvé deux un peu plus tard, lorsque j’avais trois ans.  Vous vous souvenez de Jayleen ?  Et bien elle avait deux papas.  Ce n’était pas super bien vu à l’époque (Remarquez il y a toujours des imbéciles qui trouvent à y redire aujourd’hui), mais moi je les adorais.  C’était super agréable, parce qu’on ne vivait pas loin l’une de l’autre, maman est devenue amie avec les papas de ma copine, mon frère est devenu le meilleur ami de son frère, et ensemble on formait une grande famille.  Toutes les fêtes on les fêtait ensemble, Jay et moi sommes très vite devenues inséparables, on ne faisait rien l’une sans l’autre, pire que des jumelles !

En grandissant, je commençais avoir un petit coup de coeur pour Rhys, le frère de Jay.  Il a toujours été mignon, reconnaissons-le, j’adorais le contraste de ses yeux clairs et de ses cheveux sombres.  Il avait ce petit côté canaille qui me plaisait, mais bien entendu j’ai gardé ça pour moi pendant des années.  Imaginez que Peter l’apprenne !  Il n’aurait pas fini de se moquer de moi et de me taquiner avec ça, autant éviter !  Et puis il avait son petit succès, Rhys, succès qui était de plus en plus évident au fil des années.  A l’adolescence, les plus jolies filles du lycée étaient à ses pieds, et moi j’étais juste la meilleure amie de sa petite soeur, la gamine avec des lunettes et un appareil dentaire…

Mais ne dit-on pas que le vilain petit canard fini par devenir un beau signe ?  J’ai eu cette chance.  Merci l’opération contre la myopie qui m’a permis d’enlever mes lorgnons, et envolé l’appareil dentaire qui m’avait offert un sourire irrésistible.  Je prenais goût à me coiffer, à me maquiller, à choisir mes vêtements avec soin.  Enfin j’étais une vraie fille, et les garçons ont commencé à se retourner sur moi.  C’est l’époque où j’ai entrepris des études de management.  Je n’ai pas quitté Savannah, je continuais à voir aussi régulièrement ma meilleure amie et sa famille, et je commençais à fréquenter les garçons.  Quelques petites histoires, certaines plus longues que d’autres, des plus agréables et certaines que j’avais envie de vite oublier.  Et un jour, ce que j’espérais depuis toujours arriva : Je suis sortie avec Rhys après lui avoir avoué mes sentiments pour lui.  Ils n’avaient cessé de grandir, je trouvais ridicule de continuer de les cacher, j’ai osé et j’ai bien fait !

Ca a été une période incroyable de ma vie.  J’étais en couple et heureuse, je travaillais sur un projet que je voulais absolument concrétiser et qui a vu le jour à mon vingt-cinquième anniversaire : Créer un biblio-café.  J’avais trouvé le bâtiment idéal, j’ai réussi à convaincre le banquier que ça pouvait marcher et il a accepté de me faire confiance.  J’ai beaucoup fait moi-même pour économiser un max d’argent, et quelques mois après avoir reçu l’accord de la banque, le Coffe-O-Logy ouvrait ses portes.  J’avais eu raison d’y croire, le concept plaisait, les gens venaient boire un café et en profitaient pour lire les livres à disposition dans des fauteuils confortables et une ambiance sereine.  Moi j’étais sur mon petit nuage, mais je ne m’attendais pas à ce que la chute soit si vertigineuse…

Je ne vais pas m’étaler sur le sujet, c’est encore trop douloureux d’en parler… Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il y a un peu moins d’un an, maman et Peter ont eu un accident de voiture qui leur a été fatal.  Ce jour là, j’ai presque tout perdu…  Les perdre m’a fait tellement mal !  Je ne voulais plus jamais revivre ce genre d’épreuve, j’avais cette impression d’être écorchée vive et ça ne me quittait pas.  Je me suis renfermée, j’ai rompu avec Rhys pour ne jamais avoir à le perdre.  Je sais, c’est contradictoire, mais on ne raisonne pas forcément logiquement quand on a mal.  Jay a été là pour moi, comme j’avais été là pour elle quand un de ses pères avait été tué quelques mois auparavant.  J’avais l’impression que les drames s’enchainaient et j’ai fait comme l’autruche, j’ai enfoncé ma tête dans le sable pour ne plus rien voir ni entendre, m’éloignant inexorablement des gens et de la vraie vie pour ne me consacrer qu’à mon travail.  C’est concret, dénué de tout sentiment, ça m’empêche de penser…  Rhys me manque, terriblement, je l’aime toujours autant qu’avant, mais je ne parviens pas à sortir de ce cercle vicieux dans lequel je me suis moi-même enfermée et à retourner vers lui.